Le blog de José Pigeolet

L’aigle est l’oiseau qui possède la plus grande longévité.

Il peut vivre jusqu’à 70 ans

Mais pour y arriver, à 40 ans il doit prendre une sérieuse décision.

Ses griffes, devenues courbes et trop flexibles, ne lui permettent plus de saisir les proies dont il s’alimente.

Son bec allongé et pointu devient trop courbé.

Ses ailes sont devenues pesantes à cause de ses plumes vieillissantes et trop grosses.                

Pour lui, c’est maintenant très difficile de voler !

L’aigle est alors devant un choix:  

Mourir ...ou faire face à un douloureux processus de renouvellement qui durera 150  jours.

Ce processus consiste à voler vers le haut d’une montagne, se réfugier dans un nid proche d’une paroi rocheuse, où il n’aura pas besoin de voler.

Aussitôt trouvé cet endroit, l’aigle frappe la paroi avec son bec, jusqu’à ce qu’il se l’arrache.

Une fois son bec arraché, l’aigle attend que naisse un nouveau bec avec lequel il va, ensuite, arracher ses vieilles griffes.

Quand les nouvelles griffes commencent à naître, il se met à arracher ses vieilles plumes.

Ainsi, cinq mois plus tard, 

il se lance victorieux pour son fameux vol de renaissance. 

Il dispose maintenant de ...30 ans de plus.

Y a-t-il des moments, dans la vie humaine, où l’on peut refaire son bec, ses griffes, ses ailes ? 

Cette histoire est juste jolie, il ne s’agit pas de la vérité.  Mais peu importe, c’est sa morale qui est intéressante : 

Nous devons, parfois, entamer un processus de changement, qui peut être douloureux : nous débarrasser de nos anciennes habitudes, mémoires, croyances. C’est seulement libéré de ces fardeaux du passé que nous pouvons pleinement profiter du présent et de l’avenir.

                                                                                                                        Planète Terre

En cette fin de belle journée ensoleillée, alors que la lumière donne des signes de faiblesse, il décide de quitter la maison familiale et de marcher en se laissant guider par ses rêves éveillés. Ses pas le conduisent jusqu'à la rivière où enfant, il allait se baigner. Il franchit les fils barbelés pour rejoindre le méandre de la rivière qui, avant de disparaître dans les bois, contourne la prairie au milieu de laquelle trône la tour des sarrasins. 

Il salue les lieux d’un regard nostalgique et s'allonge sur le sol herbeux en s'obligeant à vider son esprit et à focaliser sa pensée sur l'instant présent. Il fait beau et chaud. Par moment, le soleil mourant se voile d’un dernier nuage pudique. Alors, durant un court instant, sa lumière miroitante abandonne le feuillage des arbres et ceux-ci se font plus sombres et ils se détachent en silhouettes noires sur le ciel bleu de Prusse. 

Ses questionnements le font frissonner. Il souhaiterait voir disparaître celle qui efface le soleil du jour et dilapide la vie si brève. 

Il est là, immobile, plongé dans l'ombre apaisante et caressé par le souvenir de l'innocence de l'âme de son enfance. 

Contre sa volonté, les images se frayent une place. Il ramasse les coquilles de ses souvenirs qui jonchent sa mémoire et essaye de les faire disparaître dans son inconscient. Mais il ne peut lutter contre les réminiscences du passé qui refont surface, sans cesse en quête de l'espoir de la rencontre des âmes pareilles à la sienne.

Et dans ses yeux mélancoliques, les regrets angoissés du passé abondent dans le présent.

Petit à petit, l'obscurité l'enveloppe dans le crépuscule d’une nuit nouvelle. La masse imposante de la tour de pierre devient plus noire que le ciel sombre. Les lucioles, qui ont survécu dans ce coin de nature protégé, allument le vert de

leur hallucinante lanterne. 

Le sombre recouvre les couleurs et les étoiles embrasent le ciel. La nuit s'installe, propice à son isolement au milieu de ses pensées. L'instant présent s'enfuit définitivement pour laisser place à la rêverie le conduisant dans le chemin sinueux de sa mémoire.

Il est allongé sur la berge, dans une gangue de raideur et sa rêverie dévie au gré de son regard entraîné par les bruits de la nature qui l'entoure. 

Il semble partir au bout de lui-même. Ses yeux fixent le flux transparent de la rivière et il se laisse emporter par le chant des remous blancs, ceux qui révèlent la présence des gros cailloux tapissant le lit du cours d'eau.

Il les connaît bien ces cailloux polis sans cesse par l'écoulement de l'eau. Dans son enfance, mainte fois il les avait amassés dans l'anse de la rivière pour former un barrage bridant la force du courant. L'eau maîtrisée montait alors jusqu'au-dessus de ses hanches. Cela lui permettait de nager, bien sûr sur une courte distance, mais suffisante à son bonheur d'enfant. Et tous les beaux jours de l'été, avec ses amis, il empilait des pierres et du bois mort pour colmater les brèches du barrage et hausser le niveau de l'eau. Comme Sisyphe roulant son rocher, lui et ses copains roulaient de grosses pierres et reconstruisaient leur ouvrage sans cesse détérioré par la force de l'eau qui bousculait le barrage, comme un cheval sauvage trop fougueux saute et culbute l'obstacle dressé devant lui. 

En face, de l'autre côté de l'eau, dans la berge escarpée, s'ouvre un trou noir comme l'encre de la seiche. C'est l'entrée d'un tunnel qui s'enfonce sous la terre pour rejoindre les tours de la région, identiques à celle érigée devant lui. Tous ces ouvrages, disséminés dans les villages environnants, datent de la fin du 12^eet début du 13^esiècle. 

La légende colportée pour éloigner de ce souterrain qui menaçait de s'effondrer les enfants imprudents raconte qu'il était habité par une vouivre très dangereuse qui en avait fait sa demeure et y gardait un précieux trésor. De temps en temps, elle se baignait dans la rivière, mais rares étaient ceux qui avaient pu l'apercevoir. Et les téméraires qui s'étaient aventurés dans le souterrain pour la capturer avaient disparu à jamais.

Pour les impétueux préadolescents qu'ils étaient et amateurs d'aventures comblant leur imaginaire, la tentation était trop grande. Un jour, la curiosité l'emporta sur la raison et munit de lampes torches, quatre gamins, le cœur battant, se retrouvèrent à l'entrée du trou noir. Prudemment, ils s'enfoncèrent dans le tunnel, guidés par le faisceau de leurs

lampes. Le long du parcours, de temps en temps, un petit monticule de terre pointait l'endroit où la voûte s'était légèrement effondrée. Ils redoublèrent de prudence et progressaient lentement en se tenant l'un derrière l'autre. À une trentaine de mètres de l'entrée, un éboulis plus important barrait le passage. Des racines d'arbre filtraient du plafond de terre marquant ainsi la proximité de la surface. Leurs lampes ne parvenaient pas à éclairer ce qui se trouvait derrière le tas de terre; l’espace entre la voûte et l'obstacle était très étroit. 

     - C'est probablement là derrière cet éboulement que se cache la vouivre, dit l'un d'eux. 

     - On ferait bien de quitter ce satané tunnel, car le plafond n'a pas l'air bien solide. 

Répondit en écho le dernier de la file.

    - Aurais-tu peur? Ce n'est pas un petit monticule de terre qui nous empêchera de passer, affirma Dany, le plus hardi des quatre, sur un ton qui se voulait à la fois encourageant et rassurant.

Et joignant le geste à la parole, il se mit à tirer de toutes ses forces sur les bouts de bois  mélangés à la terre de l'éboulement. À peine avait-il dégagé les bois que le plafond de terre s'écroula sur lui et l'ensevelit. Après quelques secondes d'hésitation et la peur au ventre, ses amis se précipitèrent sur les deux pieds qui dépassaient encore et ils parvinrent à dégager leur compagnon pour le traîner ensuite, en courant le plus vite possible, jusqu'à la sortie du souterrain. Derrière eux, la voûte continuait de s'écrouler et bientôt, il ne resta plus, depuis l'entrée de ce maudit tunnel, qu'une dizaine de mètres non obstrués.

Hébétés, ils contemplaient les dégâts. Ils étaient passés à côté d'une sérieuse catastrophe. Mais, tout de suite, ils s'occupèrent de leur ami qui avait la tête et le haut du corps rempli d'une terre humide qui lui bouchait les narines et lui obstruait la bouche. Il ne parvenait plus à respirer correctement et était à moitié inconscient. Ils l’amenèrent jusqu'à la rivière et le plongèrent à moitié dans l'eau. Ils prirent bien soin de dégager ses yeux, son nez et ses oreilles de la terre qui les encombrait. Plusieurs quintes de toux violentes dégagèrent ses voies respiratoires et bientôt Dany se remit à respirer normalement. 

Rassurés, ils le débarrassèrent de ses vêtements souillés et deux d'entre eux lui firent prendre un bain complet dans la rivière. Pendant ce temps, le troisième jouait la lavandière; dans l’eau, il secouait vigoureusement les vêtements souillés de son compagnon malchanceux. 

Ils ne sortirent leur ami de la rivière que lorsqu'il fut propre comme un sou neuf. Pour qu'il n'ait pas froid, ils se relayèrent pour le frotter vigoureusement avec un t-shirt jusqu'à ce qu'il demande grâce pour sa peau qui prenait la couleur d'une l'écrevisse plongée dans l'eau bouillante. Ils partagèrent leurs habits secs pour vêtir leur ami. Ils

s'installèrent sur la berge et se serrèrent l'un contre l'autre, les bras autour des épaules pour prononcer à haute voix la devise des trois mousquetaires qu'ils avaient chipée à Alexandre Dumas. Ensuite, couchés dans l'herbe folle, les mains derrière la nuque, ils se séchèrent grâce au soleil généreux de l'été. Ils avaient eu très peur, mais maintenant, ils se sentaient heureux, car cette aventure avait renforcé leur amitié qui serait désormais indéfectible. À l'avenir, ils allaient franchir ensemble tous les obstacles de la vie et courir l'aventure sans jamais se séparer. 

Un sourire triste peint son visage.

Il voudrait s'extirper des ruelles de son chagrin et retrouver les péripéties de l'amitié de ses douze ans. Hélas, la machine à remonter le temps n'est réelle que dans l'imaginaire. Ses perceptions sombrent alors dans un brouillard obscurcissant sa mémoire consciente. Bientôt,sa pensée scrute le monde qui joue aux frontières de la folie et où tout se mélange dans une fable de violences inquiétantes. Il contemple le néant si désespérément vide de perspective. Son errance n'est qu'un sursis qui l'emmène au bord du gouffre sans fin qui régurgite la souffrance du hâve entonnoir. Le murmure de l'eau, soudain amplifié par le silence de la nuit, engloutit son âme. Le beau et le bonheur complet l'ont délaissé. Le Graal, pense-t-il, restera pour toujours inaccessible. 

Alors, l'ironie du présent se déchaîne. Il est seul dans son désert où une pluie de pensées lancinantes assassine son destin et le noie dans son désespoir.

Les couleurs se ternissent, la musique est funèbre et l'amertume colorie ses yeux. Son carnet sur les genoux, à la lumière de la pleine lune, il commence à écrire pour exorciser sa peur, mais ses phrases s'effilochent. Le chaos de sa pensée trahit ses obsessions douloureuses. Chaque mot arraché du plus profond de son âme et lancé sur la page blanche est un véritable défi qui le déchire et qu'il n'a plus la force d'affronter. Un grand vide se creuse sous ses pieds. 

Sa vie s'était construite en cascades cristallines, mais aussi en sombres événements. 

À présent, les sommets s'écroulent autour de lui. Ses épaules endolories se refusent désormais au poids de la vie. Ses yeux se noient dans les larmes, qu'il essuie de la main pour en effacer les traces. 

Est-il venu le temps de rencontrer le temps et de l'arrêter ? 

A-t-il fait trop tôt ou trop tard ce qu'il aurait dû faire ?

Il est confronté, pour la première fois peut-être, au choc de la réalité signifiante. Une réalité qui a son propre rythme et une durée fluctuante dans laquelle il doit s'efforcer de se fondre et attendre le moment fugace où le cours du temps se révélera propice à exaucer son ultime vœu: atteindre seulement une petite seconde d'éternité pour s’extirper de son angoisse. 

Encore et encore, il écoute l'éternelle rumeur de l'eau qui coule comme le temps qui passe. Comme la rivière a poli son fond de pierres, les années ont ruisselé sur lui et creusé leurs sillons. Il a changé. Les berges de son corps ne sont plus les mêmes, il ne les reconnaît plus. Le courant puissant poussé par les pluies diluviennes des automnes a excavé la terre et emporté les arbres les plus chétifs.

Seul le grand chêne résiste encore malgré ses racines mises à nu. Comme un dernier rempart retenant l'assaillant, l'arbre s'accroche aux lambeaux de limon en y plongeant sa racine pivotante au plus profond qu'il peut. De son tronc puissant, il empêche le temps d'agrandir l'anse qui se dessine pour l'emporter.

Mais combien de temps encore pourra-t-il tenir? 

Au loin, il entend l'ululement d'un hibou et le jappement plaintif d'un

chien. Le bruissement des feuilles agitées par un léger vent joue une musique étale.

Peu à peu, les bruits de la nuit l'envahissent à nouveau et le chant de la rivière soudain redevenue amie apaise son amertume. L'obscurité se densifie et l'accompagne en dehors du temps de l'âcreté. Il lève la tête et se met à rêver de rejoindre l'infinie beauté de la lumière de l'immense firmament qui gravite en silence et où la noce des étoiles étincelle sur un monde endormi dans le gigantesque abîme de l’univers.  

Une nostalgie profonde lui rappelle les moments où, par une après-midi

d’été, le dos appuyé contre le tronc d'un vieux cerisier tordu, la tête de son épouse lovée au creux de ses bras,

il regardait l'incessant ballet des hirondelles, tandis que dans l'herbe sèche, les sauterelles se frayaient difficilement un passage vers d'autres territoires. Il se souvient des tendres caresses, de leurs baisers goûtant le miel de leurs lèvres et dans ses songes, il l'aperçoit, calme, souriante, le visage illuminé de la tendresse qu'elle lui témoignait. 

Soudain, cet instant fugace de souvenir lui apparut comme une éternité de bonheur. 

Serait-ce ces moments qu'il recherche?

Une vibration plus forte du vent le ramène à la réalité. Elle le propulse hors des limbes du temps songeur. Une petite étincelle de chant  s'est allumée en lui et accompagne celui du cours d'eau. Elle semble railler la réalité, tandis que le saule noir pleure ses branches fragiles animées par le léger souffle de vent. 

Il faut ouvrir grand les yeux et respirer profondément sans abîmer ce moment fragile de solitude qui est le sien, comme vécu seul sur une île déserte. 

Une vague de chaleur envahit la nuit. La touffeur de l'air devient oppressante.

Finalement, à regret, il décide de reprendre le chemin de la maison où l'attend une chambre vide qui embaumera à nouveau son âme d'un parfum de tristesse.

L'atmosphère est de plus en plus étouffante et il ne parvient pas à trouver le sommeil. Le désir de la présence de son amour est trop fort.  La place vide à ses côtés assaille son cœur et le dévore. L'image est obsédante. Au bout d'un long moment, il cesse de lutter et ouvre tout grand les yeux.  Il fixe le blanc de la chambre. Son regard parcourt les lignes droites qui se forment à la rencontre des murs et du plafond. En suivant ces lignes, ses yeux font plusieurs fois le trajet dans une ronde qui s'emballe rapidement au point de lui donner la nausée.

Il fait de plus en plus chaud et de fines gouttelettes de sueur lui perlent sur le front.

Il se lève et ouvre les tentures pour laisser s'infiltrer, par la fenêtre grande ouverte, l'air de la nuit. Mais le retour sur sa couche le ramène immédiatement aux images qui tourbillonnaient dans sa tête. Alors que tantôt il voulait les fuir, à présent jusqu'à l'abrutissement, il les poursuit dans les moindres recoins de sa mémoire afin d'en épuiser une à une leur lecture. Peu à peu, les images deviennent floues, sa respiration se fait plus lente et le sommeil s'abat soudainement sur son corps épuisé.

Il est brusquement réveillé par le bruit de la réserve de bûches qui s'écroule sous les pattes d'un chat à la poursuite d'un rongeur. Hébété par l'hypersomnie, il s'assied sur le lit. Il fait vraiment trop chaud pour se rendormir. Alors, un incontrôlable désir l'envahit; il fallait absolument qu'il rejoigne sa rivière bordée de ses arbres magiques. Il réalise que son attirance pour ce lieu de son enfance relève de la fascination, mais il ne peut lutter contre cet envoûtement. Il s'habille sommairement d'un short et d'un t-shirt et regagne sa rivière. Au

milieu de celle-ci se trouve un gros rocher qui donne la réplique à la tour moyenâgeuse et qui, à ses yeux, incarne la résistance au temps qui passe. Il enlève ses chaussures et rejoint le rocher pour s'y asseoir et respirer l'air rafraîchi par le cours d'eau. Il laisse ses pieds baigner dans l'eau froide et il ferme les yeux pour mieux s'imprégner des remous de l'eau et la volupté de ses tourbillons.  

Après quelques minutes, il rouvre les yeux. En face de lui se trouve l'entrée du souterrain soigneusement barricadée par un nombre impressionnant de fils barbelés. À cette vue, un déluge de chagrin le noie à nouveau dans une nostalgie sans fin. 

De ces adolescents qui vécurent ensemble les aventures les plus folles, il est le seul à être encore de ce monde. Pourtant, à l'aube de leurs douze ans, dans les bras enlacés de leur amitié, ils s'étaient promis de ne jamais se séparer. Mais le destin les a durement frappés:

Jean-Luc avait 19 ans à peine quand il s'est écrasé avec sa moto sur un camion qui en doublait un autre au sommet d'une route.

Dany s'est engagé dans les paras commandos de l'armée belge. En 1964, il fut largué avec 545 compagnons sur Stanleyville. Il resta au Congo et disparut sans laisser de traces. Jacques, pilote à la

Sabena, fut emporté par une tumeur au cerveau. Il avait 26 ans. 

Il se revoit tenaillé par la peur, lorsque dans le souterrain ils y avaient traîné Dany à moitié inconscient pour ensuite le ranimer. Il se souvient de la vague d'angoisse qui se retirait au fur et à mesure que leur compagnon renaissait à la vie. 

Il se remémore leur joie quand Dany, grelottant, nu et propre, put regagner la berge. Ils prirent soin de lui et pour qu'il n'ait pas froid, ils le bouchonnèrent comme un vulgaire mulet. 

Leur amitié était comme une fleur qui s'épanouissait tout en douceur et beaucoup trop tôt elle s'était fanée en semant ses graines riches en douleurs. Il aurait voulu enfermer dans un coffre tous ses souvenirs d'enfance qui résonnaient dans sa tête et qui lui faisaient mal à l'âme comme si on lui versait de l'alcool pur sur une plaie vive.

À l'évocation de ces instants du passé, ses yeux laissent couler quelques larmes qui roulent sur ses joues, tombent et se mélangent à l'eau de la rivière. C'est alors qu'il dirige son regard vers ses pieds, car quelque chose de bizarre se passe. Il a l'impression que l'eau devenue tiède le lèche tendrement en tourbillonnant autour de ses chevilles. Brusquement, un bien-être étonnant l'envahit. L'inconfort de l'eau froide a disparu. Une douceur immense, comme un doux fluide ingurgité, s'empare de son corps. Elle est si forte qu'il se met à sangloter. Malgré ses efforts, il ne peut calmer ces sanglots qui viennent du cœur et non plus de son mental. 

C'est alors que la vouivre surgit de l'eau. 

Elle est belle, mais son visage rayonne d'une cruauté surnaturelle. Dans le courant de la rivière, ses longs cheveux noirs se mélangent avec les algues vertes et son corps de serpent ondule au gré du courant. Dans une cavité de son front, entre les deux yeux, est incrusté un volumineux diamant dans lequel se mire un rayon de lune argenté.

Elle s'approche de lui et se serre contre son corps et l'emprisonne entre ses bras.

Le contact avec la vouivre est plein de douceur,

mais en même temps une brûlure intense lui transperce le corps et le cœur. Il se sent complètement adombré par l'esprit de cette fantasmagorie et par la nature qui l'entoure. 

Du regard, la créature l'invite à la suivre et ne pouvant faire autrement, il se met à nager à sa suite. La rivière est devenue profonde au point qu'il peut découvrir des poissons d'eau douce et une multitude de petits animaux qui peuplent son lit. 

Et puis, le cours d’eau s'élargit et devient un fleuve puissant qui l'entraîne et le jette dans une mer calme et chaude. Il regarde autour de lui: la vouivre l'a abandonné. Il s'accroche un instant à un tronc d’arbre dérivant, puis il continue à nager au milieu d'une mer aussi bleue que le ciel.

Son regard scrute l’horizon.

Il aperçoit une île qui se détache au loin à la rencontre de la mer et du ciel. Elle semble s'être enveloppée d'une clarté vaporeuse pour cacher sa beauté. Il décide de la rejoindre. Il avance rapidement en pratiquant un crawl efficace. Il se sent porté par l'eau et nullement fatigué par le long voyage qui l'avait amené jusque là. Les battements de ses pieds font naître une trace d'écume blanche, brillante sous l'éclat du soleil et garnie de nuances vertes et bleues. Il avance sans aucun effort. 

Sous lui, il aperçoit une nature luxuriante qui lui donne l'envie de plonger sous l'eau pour découvrir de plus près ce monde qui s'offre lui. Il casse son corps à angle droit et rejoint un énorme poisson ressemblant à un mérou. Étonné, il s'aperçoit alors qu'il respire sans difficulté comme si ses poumons étaient devenus des branchies et il continue son parcours en longeant le fond de la mer. Il côtoie des poissons multicolores: le poisson-clown blotti dans les anémones, le poisson-ballon, la rascasse, la traîtresse murène, les étoiles de mer et leur couleur flamboyante… Une tortue pataude l'accompagne derrière un pan rocheux couvert de coraux rouges tandis que les requins tournoient autour de lui, mais il n'en a pas peur, au contraire, il les caresse quand ils passent près de lui. 

Les gorgones bleues, jaunes, rouges et blanches garnissent les parois rocheuses et au-dessus de lui, dans le grand bleu de l'océan, des raies mantas lui offrent un ballet sans cesse renouvelé. 

Ce monde féerique l'émerveille. Il parcourt encore quelques centaines de mètres, puis il remonte à la surface. Maintenant, il voit distinctement l'île garnie de palmiers qui se penchent au-dessus de l'eau et se balancent langoureusement. 

Une silhouette féminine se promène sur la plage de sable blanc. Son corps de rêve est enveloppé de voiles transparents qui flottent autour d'elle. Ses longs cheveux noirs tombent sur ses épaules et ondoient au gré du vent. Un sourire lumineux éclaire son visage. Elle l'aperçoit et lui tend les bras dans un geste accueillant qui l'invite à la rejoindre. Il replonge aussitôt pour se diriger vers elle. 

Lorsqu'il remonte à la surface, l'eau s'est transformée; elle est devenue lourde et noire. Il baigne dans une nappe de pétrole nauséabonde qui brûle comme une torche et envoie un nuage de fumée noire dans le ciel clair. Le liquide visqueux l'enveloppe comme dans une gangue et l'empêche de se mouvoir. Il sent la chaleur du pétrole en feu lui brûler le visage. Il veut crier, mais le liquide perfide s'introduisit dans ses poumons. Il étouffe et se débat désespérément. Horrifiée, la silhouette blanche le regarde se noyer. Lentement, il disparaît dans les flots noirs.

Au crépuscule, une vague rejette son corps sur le sable à côté d'un grand albatros qui, souillé de pétrole et secoué par les spasmes de la mort, agonise lentement.

Il se réveille en sursaut. Sa transpiration a trempé les draps sur toute la longueur de son corps. Un rayon de soleil, au travers du double vitrage, lui brûle le visage. Il revient tout doucement à la réalité, mais un indéfinissable malaise impossible à dissiper lui serre la gorge. 

Le jour se lève à peine. Il ne parvient pas à chasser l’inquiétude qui l’envahit

progressivement. Par la fenêtre ouverte, le chant mélodieux d’un merle devrait le rassurer. Il l'écoute et fixe son attention sur la mélodie en espérant se détourner du trouble que son rêve a provoqué, mais en vain, son malaise ne se dissipe pas. 

Il est beaucoup trop tôt pour se lever. Il essaye de se rendormir, mais il est tellement tendu qu'il n'y parvient pas. Son rêve l'obsède. Il se retourne sur le côté gauche puis sur le côté droit et cherche vainement la position la plus confortable pour retrouver les bras d'Hypnos.

Finalement, il se lève et arpente la chambre. Ses pensées sont toujours envahies par la fin lugubre de son rêve. Il se sent désemparé par un effroi grandissant. Pour y échapper, l'idée de courir lui traverse l'esprit. Alors, il met la main sur un short de jogging et un débardeur qu'il enfile sur son corps transpirant. Il passe par la cuisine et se sert un grand verre de jus d'orange pour étancher sa soif, puis il sort par la porte de devant. 

Il est surpris par l'étouffante chaleur de l'air qui est à peine atténué par une très légère brume. Cet air chaud et humide lui tombe comme une masse sur les épaules. L'idée de renoncer à sa course lui effleure l'esprit, mais la perspective

de retrouver une chambre vide le pousse à lacer ses "Asics". Il jette un coup d'œil au thermomètre qui marque 24 degrés. Avec l'intention de faire le tour du village en courant, il rejoint le chemin de remembrement qui passe devant sa maison. 

Dieu, que c'est pénible de courir par ce temps! Il s'y attendait, mais pas à ce point. S’élancer sur la route dans ces conditions tellement défavorables, c’est de la folie, mais rien ne peut le retenir. Il veut courir et se débarrasser des idées qui l'empoisonnent.

Il se jette sur le béton pour avaler la route et entamer son supplice.

Ses jambes sont lourdes, ses muscles raides, ses articulations douloureuses, ses pieds tapent le sol à plat et les chocs se répercutent tout le long de sa colonne vertébrale jusqu'aux cervicales. Au bout d'une centaine de mètres à peine, le manque d'air le force à s'arrêter. Alors, il continue à avancer en marchant, bien déterminé à ne pas abandonner. Dès qu'il a récupéré un peu de souffle, il se remet à courir et poursuit son périple en alternant la course et la marche. Après six cents mètres, il choisit d'emprunter le chemin de gauche, celui qui l'emmène en plein champ. C'est un chemin de terre qui atténue les chocs de ses pieds frappant le sol et sa foulée devient plus souple.

Il connaît bien ce chemin qu'il a parcouru maintes fois lorsqu'il courait trente kilomètres toutes les semaines. C'est une boucle de quatre kilomètres neuf cents qui l’attend avant de retrouver sa maison. Pourra-t-il la parcourir? La sueur ruisselle sur son visage, se glisse dans son cou et va se loger dans l'élastique de son short.  Après deux kilomètres, il pense qu'il ne pourra pas continuer et qu'il s'écroulera sur le sol pour ne plus se relever. Mais sa volonté est plus forte que l'épuisement de son corps. Il ralentit considérablement sa foulée et le rythme de sa respiration s'adapte peu à peu au relief du chemin.

La brume s'est complètement dissipée et le soleil campe bien au-dessus de l'horizon. Il remonte encore de quelques degrés la température de l'air. 

Arrivé au bout du chemin de terre, il tourne à gauche et passe

devant une petite chapelle toute de blanc vêtue. Le chemin de remembrement à nouveau bétonné est étroit. Il dessine des courbes vallonnées qui séparent les champs en deux parties. Le sommet de la première côte lui offre une vue sur le reste de la

route. Au loin, il aperçoit un tracteur et une petite voiture rouge. Les deux véhicules se font face. Visiblement, le tracteur n'a pas l'intention de s'écarter pour laisser passer la voiture et il avance vers elle en l'obligeant à reculer. En désespoir de cause, pour contourner le véhicule agricole qui lui barre la route, la conductrice de la voiture tente une manœuvre délicate: elle s'engage dans le champ du côté gauche de la route mettant ainsi sa voiture en déséquilibre dangereux, car un dénivelé d'un petit mètre sépare la route et le champ. Furieux, le fermier voyant la voiture s'échapper fait pivoter son tracteur, qui est muni d'une pelleteuse, afin d'endommager la voiture. Heureusement, celle-ci étant dans une partie basse du champ par rapport à la route, elle échappe à l'engin qui dans son mouvement ne fait que frôler le toit. La voiture poursuit alors sa route dans le champ. Heureusement, la récolte du blé a déjà été faite et la sécheresse a rendu la terre aussi dure que du béton. Une cinquantaine de mètres plus loin, le champ revient à la hauteur de la route et la conductrice peut reprendre le chemin bétonné. Elle passe devant lui et il voit son regard paniqué et son visage marqué par la peur.

Tout en courant,  il a observé la scène. Il est atterré par tant de violence et de méchanceté. Il arrive à la hauteur du tracteur et il ne peut s'empêcher de lancer au conducteur: "ça ne va pas la tête". Le fermier rageur arrête le moteur de son véhicule, en descend et se met à courir après lui. Il n'a qu’une dizaine de mètres d'avance sur le fermier et se dit que s'il se fait rattraper, il va passer un mauvais quart d'heure, car le gaillard est un grand costaud. Alors, il jette ses dernières forces dans l'accélération de sa course. Hélas, cela ne suffit pas et après cinquante mètres, il entend tout proche de lui la course du fermier. Deux mètres à peine les séparent et il croit percevoir sur sa nuque le souffle de son poursuivant. 

Cette fois c'est fini. Il se voit déjà défiguré par des poings rageurs. Et puis, le bruit des pas derrière lui se fait moins prégnant, s'espace et soudain s'arrête. 

Il court encore un peu, puis se retourne. Il voit l'homme au milieu de la route, les jambes écartées, les mains en appuis sur les genoux retenant un torse haletant prolongé par une tête vrillée d'un regard haineux qui le fusille. La brute vaincue par les grosses et lourdes bottines dont elle était chaussée renonçait à sa vengeance. 

Et le temps des regrets dérive à nouveau à flots continus dans son âme endolorie et balaye ses rêves fous. 

Il a traversé les tendres années avec la mélancolie d'un romantique condamné à une quête vaine. Pourtant, aujourd'hui, malgré sa faiblesse, il a été capable de se surpasser et de remporter une victoire sur lui-même. C’est un exploit qui l’incite à vivre malgré tout et à ramasser les petites joies des jours à venir.

Au bout d'une bonne demi-heure, il a enfin la force de bouger. Il rentre dans sa maison et durant de longues

minutes, laisse rebondir l'eau apaisante de la douche sur ses épaules qui se décrispent petit à petit. Le parfum familier du savon le rassure. Il s'essuie, s'enveloppe dans un peignoir, regagne sa chambre et s'abat sur le lit. Au bout d'un moment, il enlève son peignoir, se glisse nu sous le drap et sombre dans un sommeil agité.

C'est le début de l'après-midi. Le destin l'a maquillé, il avance sur scène. Les frissons  l'envahissent et l'enlacent au point de l'empêcher de respirer. L'émotion le paralyse tandis que le fulgurant ascenseur l'emporte au sixième étage. Il s'engage dans l'interminable couloir de la route 63 qu'il connaît si bien et qui l'amène à la chambre 6316. Là, elle l'attend assise sur le lit. Elle est souriante. La valise, dont le ventre est gonflé à l'extrême, gît à ses

 pieds. Il étreint avec tendresse celle qu'il aime. Il se sent parcouru d'une onde chaude de soulagement. 

Enfin ils peuvent regagner leur domicile et l'espoir habite leur cœur.

Le temps s'effiloche et il prend de plus en plus conscience de la fragilité de la vie. La vision qu'il a de lui est celle d'une ombre avalée par l'obscurité. 

Il doit absolument oublier autant que possible sa confusion et sa peur. Mais il est trop épuisé pour réfléchir de façon cohérente. C'en est trop pour son corps fatigué que les crabes rongent. Il devrait retrouver le sommeil pour pouvoir accepter la présence d'une journée nouvelle. Alors seulement, il pourrait appréhender plus facilement la situation et trouver des réponses à ses interrogations. Tant que ses perceptions sombreront dans la détresse, un brouillard épais obscurcira une prise de conscience sereine. Il faut absolument qu'il écrive son image à l'encre sage. Mais pour cela, du temps est indispensable et il n’est plus capable de maîtriser le rythme du temps. Il aurait voulu se rendre là où le temps n'est pas et pénétrer la distorsion à la fois temporelle et spatiale de l'écoulement de ce temps.

Son corps gémit sous le moindre effort. Alors, de longues heures d'immobilité et de réflexions envahissent à nouveau ses journées et ses nuits.

Qu’est-il sur cette terre? Quel est le sens de sa présence? Quel but doit-il poursuivre? Que va-t-il devenir? Comment appréhender son avenir? Comment trouver des réponses cohérentes à ce qui lui paraît inimaginable?

Il se met à graviter avec les étoiles si proches du trou noir, qu'il orbite autour de lui. Il est aspiré par ce vide d'où rien ne peut s'échapper.Il se dit qu'il va s'embraser en entrant dans le disque d'accrétion de Sagittarius A

,va-t-il pouvoir se sauver? Va-t-il glisser et se perdre dans ce fond sans matière ? Qui pourra lui lancer la corde salvatrice et l'extirper de cet entonnoir maudit?

Au bout de son vertige apparaît la conscience de son existence, l'existence de son "moi" qui ne pourra tourner le dos au monde tel qu’il est. Il n'y a pas de distance entre lui et le monde, même s’il s'éprouve au point d'émerger un instant comme un absolu, comme la conscience d'une présence à lui-même.

Il sait que dans son cerveau, des milliards de neurones sont parcourus à chaque instant de décharges électriques afin d'acheminer toutes ses pensées. Chaque neurone est prolongé par des dendrites et des axones. Les messages sont véhiculés par les neurotransmetteurs qui ne sont rien d'autre que des messages chimiques qui attendent dans des vésicules l'impulsion électrique qui les propulse de l'autre côté de l'espace synaptique dans le récepteur, déclenchant ainsi des réactions biochimiques qui permettent de le tenir en vie. 

Mais, il se questionne: qu’est-ce qui déclenche ces impulsions électriques ? Quelque chose de supérieur et d'impalpable? Ou peut-être serait-ce tout simplement que l'on appelle les "sens": la vue, l'odorat, le toucher, l'ouïe et le goût.

Ces sens sont des récepteurs et captent des stimuli pour les transmettre au système nerveux central où ils sont interprétés par son cerveau. 

Tous ses sens se sont développés grâce à l'expérience acquise essentiellement dans sa petite enfance. Ainsi, a-t-il pu éduquer son oreille à la musique classique par l'écoute de multiples compositeurs. 

Comment a-t-il pu entrer en possession de la préhension de l'espace?

Il vit depuis toujours dans un espace à trois dimensions et son cerveau détecte cette troisième dimension à travers la notion de relief alors que chaque œil ne lui communique que des images planes à deux dimensions.

La vision en relief résulte de la superposition de deux images similaires légèrement décalées du fait de la distance qui sépare les deux yeux. Il a donc acquis ce sens de l'espace essentiellement par la vue. Mais cette acquisition s’est faite par essais et erreurs. C'est ainsi que devant l'orifice circulaire d'une poubelle, il perçoit

une ellipse, mais son cerveau corrige cette perception, car l'expérience lui apprend à interpréter les informations reçues et il sait que la poubelle n'est pas comme il la voit, mais comme son cerveau sait qu’elle est, c’est-à-dire: cylindrique. Ces corrections par l'apprentissage s'accompagnent d'un renforcement de la connexion synaptique. Renforcement provoqué par la libération d'une plus grande quantité de neurotransmetteurs. Et quand sa mémoire s'inscrit à long terme, de nouveaux contacts synaptiques apparaissent. L'effet de son apprentissage est donc de stabiliser la croissance de nouveaux contacts synaptiques dans son cerveau. 

Son cerveau apprend et se construit tout au long de sa vie. Il ne sait pas tout et c'est vrai qu'il peut se tromper si les informations qu'il reçoit ne sont pas clairement interprétables. Mais l'erreur n'est jamais volontaire. Son cerveau n'est donc pas un menteur au sens habituel que l'on donne à ce mot. 

Et quand son cerveau vieillit, il oublie une partie de ses acquisitions, parce que des connexions synaptiques disparaissent. Sa matière dégénère et se transforme en particules et meurt. Mais que devient l'immatériel de son cortex cérébral ? Ses pensées vont-elles errer dans l'infini de l'espace quantique? 

Mais, qu’est-ce que l’infini?

L'infini est-il la faculté d'aller toujours plus loin et de s'étendre au-delà de toute limite? 

Mais comment comprendre et définir ces notions d'infini avec un cerveau fini ? 

La mathématique est probablement la science qui utilise le plus la notion d'infini.

1+1=2, 2+1=3, 3+1=4, 4+1=5… l'unité 1 engendre la multiplicité: 2, 3, 4, 5, 6 ….Ces divers chiffres peuvent donc être multipliés sans trouver un point d'arrêt.

Mais ces nombres ne sont pas palpables, ils existent en dehors de lui à un autre niveau que sa réalité sensible. 

Un segment de droite est constitué d'un nombre infiniment grand de points qui ont eux-mêmes une dimension infiniment petite. Mais que représente pour lui la notion de "Grand" et de "Petit"? L'univers ne serait-il pas un infiniment "Petit" à l'intérieur d'un infiniment "Grand"? Et le "Grand" n'est-il pas situé dans un infiniment "Petit"? Mais dans ce cas, la limite de l’espace est mise en question. C'est par rapport à son corps qu'il peut définir ce qui est grand ou petit. Il est le centre de ses perceptions et devient le centre de l'univers qui s'étend à l'infini autour de lui. Il en résulte que les déplacements à l'infini de son corps dans l'espace créent une infinité d’univers infinis  auxquels il serait comme relié par des fils invisibles. Ses déplacements peuvent se répéter indéfiniment et créer une dimension effective et multiple de la réalité. Mais cette réalité n'est-elle qu'un concept de son esprit qui ne correspondrait à aucune réalité physique ?

Einstein explique que le temps et la vitesse sont liés. C'est l'espace-temps. Plus on se déplace dans un champ gravitationnel plus grand, plus le temps semble passer lentement; les horloges atomiques situées sur les satellites GPS avancent quelques microsecondes moins vite que celles situées sur Terre. Par contre, dans la théorie de la relativité générale qui associe la gravité et l'espace-temps, la gravité déforme l'espace ce qui fait avancer plus vite les horloges embarquées sur les satellites. Comment harmoniser tout cela pour que les GPS soient capables de fonctionner correctement et ne pas envoyer la voiture dans le fossé parce qu'il lui dirait de tourner trop rapidement à gauche ou à droite ?On utilise pour cela au moins quatre satellites qui triangulent le GPS dans l'espace-temps ce qui lui permet de ne pas avoir besoin du temps pour définir exactement sa position. 

La radio navigation par satellites repose sur des principes physiques très élaborés mettant en œuvre tant la mécanique quantique que la relativité générale.

C'est une prouesse mathématique et physique que l'on est arrivé à réaliser par l'appréhension de la relativité et de ses conséquences

En physique, les planètes finies et les trous noirs infinis se fréquentent dans la théorie quantique. La théorie des supercordes, la topologie de l'espace-temps, le vide quantique, la cosmologie quantique… font appel à des infinis divers et énigmatiques pour lui. 

BOLZANO, espère établir sur une base mathématique la métaphysique de l'infini. Et pour compliquer un peu les choses, il y a une autre idée: il n'y a pas un seul univers infini, mais ils sont un nombre infini !!! Les trous noirs (ver) ne seraient que des passages entre des univers différents.

Pour couronner le tout, on introduit la notion de la courbure de l'espace-temps. La courbure permettrait de réduire l'espace entre la terre et d’autres planètes qui nous deviendront ainsi plus accessibles. La courbure de l'espace-temps permettrait peut-être de contourner la difficulté de la durée du voyage entre deux planètes puisque des éléments éloignés pourraient se rapprocher grâce à cette courbure. Ouf, il peut pousser un soupir de soulagement (ironique), car selon Stephen Hawking, dans quatre ou cinq cents ans la terre sera inhabitable (démographie, épuisement du sol et de ses ressources, pollution et augmentation de la température, etc.). L'homme devra alors "déménager" sur une autre planète s'il veut survivre et sauver son espèce. Si l'on trouve des planètes habitables par l'homme encore faudra-t-il solutionner le problème du temps qu'il faudra pour les atteindre. Pourra-t-on trouver la solution grâce à la courbure de l'espace?

Alors, il se demande qui nous sommes pour pouvoir manipuler les règles complexes de l'univers, pour croire au sauvetage imaginaire qui permet de sauter d'un bout à l'autre de l’espace. 

Comment doit-il comprendre qu'une particule microscopique peut être dans un mélange de plusieurs états, posséder à la fois deux vitesses, être à deux endroits différents (voir plus) à la fois ? La nature n'est plus déterministe et cela dépasse son entendement !

La particule n'est plus localisée, mais se situe dans un champ de probabilités. Quand le temps s'écoule, ce champ peut évoluer en se comportant de manière similaire à des ondes électromagnétiques. Donc la particule peut agir comme une onde. Ainsi, la lumière est faite d'ondes électromagnétiques et de photons.

La conséquence de tout cela serait qu'il faut donc décrire, dans le monde quantique, toutes les particules par des ondes.

Il ne peut résister à penser à la réflexion pleine de bon sens deRichard Feynman:

"Si vous croyez comprendre  la mécanique quantique, c'est que vous ne la comprenez pas"

Le paradoxe, et non le moindre, est qu’il est un être fini, existant sur une planète finie. Pourtant, il veut comprendre et expliquer l'infini. Il est en quête de signification et il espère que la science contribuera à donner un sens compréhensible à son existence.

"Plus qu'aucune autre question, celle de l'infini a depuis toujours tourmenté la sensibilité des hommes; plus qu'aucune autre idée, celle de l'infini a stimulé et fécondé leur raison, mais plus qu'aucun concept, celui de l'infini demande  à être élucidé"

                                                                                                            David Hilbert.

Physiquement, il est un être fini, mais cette finitude s'applique-t-elle complètement à ce qu'il est?

Il est une matière intimement liée à l'esprit qui regroupe les différentes facultés mentales de son cerveau. En naissant, il est appelé par la mort. La mort est un paradoxe de plus, puisque c'est un phénomène bien ordinaire "vécu" par tous les vivants. Avant de disparaître à jamais dans le néant, sans espoir de s'en échapper, son cerveau, ce grand ordinateur de ses sensations, cessera de fonctionner et de produire ses pensées. 

La limite du segment de droite apparu sur la ligne infinie du temps met un point final à son existence. Mais se peut-il qu'il laisse une trace dans l'espace cosmique?

Son corps se désagrégera pour retourner en poussière. Que deviendra son esprit, sa pensée, son âme…? Que se passe-t-il de l'autre côté du miroir? Il voudrait le savoir.

Il est un être incarné matériellement, mais est-il uniquement matériel sans émanation d’âme?

L'Église catholique fait de l'âme le fondement même de la foi. Elle distingue l'esprit associé à la pensée et l'âme aux sentiments. L'unité de l'âme et du corps font qu’il est un être humain. L'âme et la matière constituent une nature unique. "Lors de la mort, l'âme quitte le corps et va rejoindre le ciel". Mais comment conceptualiser une vie qui est inséparable de la mort? 

Freud disait de la religion:

"C'est un système d'illusions créées par le désir, avec négation de la réalité, système tel qu'on le retrouve, à l'état isolé, seulement dans un état de confusion mentale bienheureux".

L'âme, selon les religions, c'est ce qui produit et explique la vie. L'âme relève donc de la religion, de la croyance, de la foi.

Un être sans âme n'est pas vivant. L'esprit et la pensée sont étroitement liés à l'âme. Il faut posséder une âme pour penser. Une pierre n'a pas d'âme et ne peut donc penser. L'âme est immortelle, car elle est immatérielle. Et de se dire que comme chacun, il a une âme et son âme est unique.

Et pourtant, lorsqu'il était enfant, il jouait et appréhendait la nature qui lui semblait aussi vivante que lui; elle était gorgée de sens et lui parlait au travers des rayons du soleil, la pousse des arbres qui dialoguaient entre eux, les remous de la rivière, la transparence de la source… Intégré dans cette nature, tous les éléments formaient un tout et son corps vibrait avec l'esprit de "LA" beauté de la nature qui le nourrissait dans le plus profond de lui-même. Pour lui, la nature était pourvue "d'âme". L'adombrement par la vouivre n'était peut-être pas qu'un rêve! Dès son enfance elle avait pris possession de son esprit pour lui apprendre les rêves fous, mais muets

.

 Il s’était condamné à une quête vaine d'un désir toujours égratigné.

Alors, il se dit qu'il doit vivre la vie sublimée par les lumières qui continuent à l'attirer et  rester fidèle au passé de son enfance.

Il a grandi, il a  vieilli, mais il ne doit pas perdre le contact avec la réalité nourrissante de la nature. Se coucher dans l'herbe, mâchonner un épi et regarder l'alouette (pour peu qu'il en existe encore) qui grimpe le long d'un rayon de soleil en lançant son chant dans un ciel sans nuages, puis retombe comme une pierre sur la terre féconde. N'est-ce pas comme cela qu'il trouvera une partie de l'infini bonheur et du sens à sa vie? La nature résonne dans les profondeurs de son être avec une telle puissanceque c'est auprès de cette réalité qu'il se ressource et se réconforte le mieux.

Pourquoi faut-il qu'il interpose toujours sa pensée entre son esprit et la réalité ce qui le force à aller sans cesse d'une situation à l'autre en se condamnant à cette angoisse qui glisse à la surface des choses ?

Se mettre en relation avec la véritable réalité de l'environnement le plus proche de ce qu'il vit. Il doit la voir telle qu'elle est et aussi telle qu'il la vit. Est-ce tellement compliqué?

À force de tourner en boucle dans le mental, il finit par oublier son corps. L'esprit l'amène ailleurs, au point de le désincarner. Il ne veut pas faire de la science une religion qui, même si elle ouvre des espaces inconnus et extraordinairement intéressants, l'éloigne de ce qu’il peut ressentir face à ce qu’il est dans la durée des jours.

Méditer !

Se désunir de sa pensée pour se focaliser sur la réalité de son corps et de sa respiration. Sa pensée n'est que vacuité entraînant  la chaîne des illusions parce qu'elle n'est pas maîtrisée. Son esprit doit trouver un siège physique pouvant être observé par des sens externes, ce qui signifierait aussi qu'il est finitude.

Il se rend compte qu’il doit effacer les contenus de sa pensée qui s'interposent entre lui et la réalité. 

Il doit se désolidariser de sa pensée qui n'existe pas en elle-même et se mettre en relation avec la véritable réalité du quotidien. Il lui faut bien vivre sa vie sous l'intenable poids des ans qui décime les gens qu'il aime.

Il doit s'approcher au plus près de ce qu'il vit, dans la clarté limpide de sa conscience pure débarrassée des scories de l'angoisse, afin de tenir lui-même le déroulement de ses idées et de faire en sorte que  sa raison soit en accord avec le réel. 

Il doit répandre la lumière du noyau intime de son être sur sa personnalité limitée et imparfaite.

Au diable les électrons, les ions, les protons, les bosons… et les autres jouets de tous ces esprits magnifiques. 

Où sont passées les lucioles qui chaque soir défilaient devant ses yeux après que les hannetons ne se soient définitivement perdus? 

Sa rage de vivre s'est-elle assombrie et couverte de tristes nuages? Le jour, il attend que le matador porte l'estocade et la nuit il range ses rêves glacés en imaginant les papillons se poser sur d'autres fleurs. C'est la mélancolie des occasions manquées qui à la chute du jour, fait remonter à la surface les voyages à peine dessinés.

Finalement, que lui importe un corps "sous forme d'un grand vide dans lequel circulent des phénomènes ondulatoires".

Alors, il se dit qu'il est temps de respirer l'air de l'insouciance de sa jeunesse baignée dans l'amitié, de compter les étoiles, d'abreuver sa vie d'actions impulsives, d'écouter le doux violon et le piano impétueux. 

Parce qu'il n'y a qu'une vie sur terre et que la fin de celle-ci frappe à la porte. Il veut aussi combattre à son niveau cette société qui bafouille la vérité, qui sème les guerres, accouche la souffrance, la mort et nourrit les hypocrites populistes qui aboient par leurs tweets et plient dans le sens du vent soufflant ainsi le chaud et le froid et tuant l'espoir des plus démunis. 

Il veut plus de vérité.

Il ne veut plus trébucher sur l'inconcevable, ne plus voir Lazare entrer dans sa tombe. 

Il veut passer dans l'action et ne plus pleurer l'heure qui passe.

Alors, il espère vibrer avec la voix du réel dans son intériorité. 

Il ne veut plus d'un monde parallèle. Qu'importent les ondes insipides et inodores de ceux qui savent disséquer l'univers, c'est la chaleur du corps aimé qu'il veut ressentir dans l'au-delà. 

Il veut couvrir de bonheur les jours les plus ternes d'aujourd'hui et de demain.

C'est dans le vivant du présent qu'il veut entendre pour toujours les paroles dans son étreinte intime et plus encore son doux silence comme un soir infini qu'on savoure. 

Il veut goûter les caresses qui palpitent de tendresse lorsque le soir se meurt avec les sanglots des fontaines et la senteur du doux vent soufflant sur la lavande. 

À Freya endormie, le lent baiser donné avec une douce ivresse dans l'ombre de son sein demeure incrusté pour toujours dans son corps endolori. 

Dans le néant, il veut encore ressentir le fourmillement de l'hymne de l'amour porté par le ruissellement de la vie qu'il souhaiterait ne jamais arrêter.

Il veut laisser la tristesse et la laideur de l'instant pour les transformer en un immense amour libre de tous les jougs. 

Dans le creuset de la nature, près de sa chère rivière, sous un ciel grand ouvert, accompagné par le murmure de l'eau, il veut encore chanter l'amour et le bonheur d'être aimé, de ne plus avoir le cœur en berne ou de se laisser surprendre par le destin prévisible. 

Dans un ciel bleu traversé par un vol d’étourneaux, il veut caresser jusqu'à l'ivresse le corps aimé d'un amour comme unique seigneur, d'un amour qui l'a toujours désaltéré; c'est sa prière.

Un jour, une nuit, il larguera les amarres et prendra la mer pour toujours sous les regards égarés et les sentiments enfouis au plus profond de la tendresse. Il espérera alors être seul avec l'aimée, enlacé dans une tendre étreinte, sa tête reposant dans le creux de ses seins et ainsi effacer l'espace et le temps.

Et il pense à Saint-Exupéry, mais aussi à Brel.

" Celui que je touche, je le rends à la terre dont il est sorti. Mais tu es pur et tu viens d'une étoile...

                                                                                                                            Saint-Exupéry.

Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part

Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile

Telle est ma quête,
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour

Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce qu'un malheureux

Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile.

                                                                    Jacques Brel

D'un revers de main, les belles histoires sont balayées par un jugement trop sévère qui prive de tout espoir. 

"On ne voit bien qu'avec le cœur…"dit le Petit Prince. 

Comment le comprendre, toi qui n'as jamais connu celui qui se réfugie près de sa rivière dans le secret de sa vie ! Le regard est superficiel et ne peut débusquer l'âme qui se cache sous l'enveloppe qui abrite le cœur. Il a enfoui au fond de lui les rêves qui l'ont tenu debout tout au long du chemin. 

Pour le Petit Prince, rien n'est plus important que la rose née sur sa planète. 

Il n'appartient pas à notre monde et il appelle le service du serpent pour rejoindre celle qu'il aime. Au milieu des étoiles le parfum de sa fleur exhale la tendresse et crée le chemin qu'il doit emprunter. Elle l'aide à comprendre le passage dans ce monde grâce à la symbiose totale avec lui et lui permet d'embellir le parcours. 

Il avait seize ans, vingt ans, cinquante ans septante ans…et quelques années à venir peut-être, quelques hivers et les vents humides et froids qui font pleurer les arbres en les dénudant, mais aussi les caressants rayons d'or qui chassent la douleur de la morne saison pour apporter les pousses vertes du printemps et les joyeuses couleurs des fleurs de l'été. 

C'est ici, c’est maintenant que tout se passe, se dit-il.

Une note suspendue à ses lèvres qui cherchent les siennes lui fait  sentir le bonheur comme un sourire inachevé et la promesse d'aimer un monde au travers d'un regard qui n'a pas de rides.

                                                                                                                        José, le  1er octobre  2018

Au fil des kilomètres parcourus, le paysage a changé au point que je ne sais plus où je suis. Brusquement, la nuit est tombée et la pluie mêlée de neige a accéléré sa chute. Ce contexte complique le choix de la direction à prendre.

Je dois me poser et scruter les ombres au-delà des ténèbres. Espérer voir "La Lueur" sur l'horizon perdu.

 Alors, les lumières de la ville s'éteignent et sont remplacées par le sombre de la nuit tandis que la neige s'est complètement substituée à la pluie.

La quête de l'étoile inaccessible n'est plus qu'un lointain souvenir qui se dilue dans le flou noir qui m'entoure. La tentation est grande d'abandonner la route, de m'arrêter sur les bas-côtés et de me recroqueviller sous les grands sapins verts, de fermer les yeux et attendre. Attendre quoi…que le jour se lève?

Je sais que la lumière reviendra vibrante jusqu'à l'insoutenable. Elle effacera les ombres et supprimera les contours. Provocante, elle forcera le destin qui mènera à la fin, car la réalité insupportable s'écartèlera alors sous ses copeaux d'éclats aveuglants. 

Pour fuir tout cela, la solution est peut-être de faire demi-tour, repartir en arrière pour m'éloigner du présent et me nourrir d'une longue route déjà parcourue; retrouver l'enfant qui a illuminé ma vie.  Mais, ce serait nier l'image de l'instant. Ce serait devenir étranger à moi-même, à ce que je suis aujourd'hui.

Étranger à moi-même…et pourquoi pas ? Se laisser tenter… remplacer le "je" par le "il".

Ne pas savoir…ne plus savoir, renoncer au jeu que la société me propose. Passer de l'autre côté du miroir. Errer en marge de la vie. Renoncer à être et à sentir. Gommer les émotions pour ne plus souffrir. Chercher l'absolu de la vérité, froidement, intellectuellement, sans implication. Être au-delà de mon corps, le regarder agir, lui parler comme si je parlais à un autre. Divorcer du monde dans lequel ma personne se meut et fraterniser avec l'indifférence.

Mais qui suis-je pour vouloir ainsi déserter la pluie, le vent, le soleil, la vie et rayer la vacuité d'une existence sans être?

Mais la réalité efface le désir. Mes paupières sont devenues lourdes et le froid est insupportable. Je ne peux rester plus longtemps sans bouger. Je dois prendre une décision. Et finalement, dans un dernier sursaut de volonté, j'opte pour l'abandon de la voiture sur le bas-côté de la route. À peine sortis de mon véhicule, les flocons blancs m'enrobent de leur sarabande tourbillonnante. Un vent glacial les plaque sur mon visage rougi par le froid. J'hésite un moment avant de m'enfoncer dans la tornade blanche. Mais finalement, je franchis le fossé qui longe la route et les épaules courbées, j'essaye de trouver un chemin qui me mènera vers la chaumière protectrice et la chaleur de son feu de bois. Mais, je ne vois plus rien devant moi, car la chute de plus en plus dense des flocons colle ceux-ci à mes paupières et les scelle dans une robe de glace. Tous mes efforts pour les ouvrir restent vains et j'avance sans savoir vraiment où je vais. Mes jambes s'enfoncent jusqu'aux genoux dans la neige poudreuse qui rend ma progression de plus en plus pénible. Le gel s'infiltre insidieusement sur ma peau par les moindres interstices de mes vêtements. Ma respiration devient haletante et le froid brûle mes poumons. Je dois absolument me rendre à l'évidence: si je ne trouve pas rapidement un refuge, je vais mourir gelé et étouffé par la neige.

Curieusement, aucune angoisse ne me tenaille, mais une grande lassitude m'envahit peu à peu. Elle est accompagnée d'une irrésistible envie de me coucher sur le blanc manteau et de m'en faire un  linceul pour m'endormir doucement.

Ainsi, verrais-je enfin la vérité cachée derrière l'horizon disparu!

Mais, dans le lointain, des loups se mettent à hurler et bien vite leurs longues plaintes se font de plus en plus prégnantes. Mourir de froid passe encore, mais la perspective de ma chair déchirée par ces carnassiers m'est insupportable et je me remets debout et je reprends ma marche. Après quelques minutes, je me heurte à ce que je prends d'abord pour un grand rocher noir. En réalité c'est un mur cyclopéen. Étais-je sauvé? Était-ce un improbable et providentiel refuge dans cet enfer blanc? 

À tâtons, les mains glissant le long du mur, je longe cette barrière noire dans l'espoir de trouver une porte, qui une fois franchie, me permettrait de trouver un abri à l'intérieur de cet édifice. Après une bonne vingtaine de pas, un mur, que je devine perpendiculaire au premier, me fait changer de direction. Comme le vent redouble de puissance, je m'empresse de suivre cette nouvelle voie. Un troisième et un quatrième mur me ramènent à mon point de départ où je retrouve les traces de mon passage récent. Trois fois, je fais le tour de cette construction sans découvrir le moindre orifice.

Je suis épuisé, mes jambes ne veulent plus me porter et la meute rugissante n'est plus très loin.

Rassemblant mes dernières forces, toujours à la recherche d'une issue, je longe à nouveau les murailles qui, je le devine, forment une tour carrée. Mais elle est dépourvue de porte, de fenêtre; pas la moindre brèche. Et les pierres parfaitement jointives ne me laissent aucun espoir de pouvoir grimper sur cette surface lisse dont la masse sombre se perd en hauteur dans le nuage de flocons blancs.

Désespéré, je m'assieds dans la neige en me demandant comment faire face à la meute affamée qui maintenant est toute proche.

Et puis mon regard est attiré par une tache plus sombre que je n'avais pas vue auparavant. Elle dessine sur le mur de l'édifice un demi-cercle dont le diamètre est situé à la hauteur de la neige accumulée contre la paroi de la bâtisse. C'est une ouverture qui me paraît très petite. Mais, vite, il faut faire vite. Je n'ai pas le choix. Frénétiquement, mes mains s'efforcent de dégager la neige pour agrandir l'orifice. L'estimant suffisamment large, j'essaye de m'engager dans le trou. Impossible ! Les pierres forment un boyau trop étroit pour laisser le passage à mon corps. 

Alors, des grognements effrayants m'avertissent que les loups sont là. En effet, une douzaine de bêtes, plus grandes que moi, m'encerclent et bloquent toutes possibilités de fuite. Ils sont effrayants ! Les flocons blancs gelés s'agglutinent autour leurs poils et grossissent leurs silhouettes menaçantes. Tranchantes sur le fond rouge de leur gueule ouverte, leurs babines retroussées laissent percevoir des crocs si grands que les langues pendantes ne parviennent pas à les cacher. Vingt-quatre yeux noirs fendus chacun par une amande dorée me fixent intensément.

Ils se sont immobilisés. Certains assis me regardent sans bouger. D'autres, couchés, cachent leur museau entre leurs pattes pour se protéger du froid. Tous m'observent et attendent le signal du mâle dominant pour se ruer sur moi. Mais celui-ci semble prendre plaisir à contempler ma détresse et à retarder le déclenchement de l'assaut final.

Un sentiment de terreur vrille mon corps et me paralyse.

Alors, dans un dernier geste de désespoir, je me débarrasse de mon anorak et leur jette en pâture. Ils se ruent sur lui et, avec des grondements rageurs, ils le déchiquettent en quelques instants. Pour détourner leur attention, je leur lance les uns après les autres tous mes vêtements, y compris mes bottines de cuir sur lesquelles ils s'acharnent plus longuement.

Profitant de ce petit répit donné par l'obstination des loups à réduire mes vêtements en lambeaux, je plonge une nouvelle fois dans l'ouverture du mur… et cette fois, débarrassé de tous mes habits, je parviens à m'y infiltrer entièrement, tandis que les bêtes carnassières surprises par ma manœuvre poussent dans le noir de l'entrée du tunnel, des hurlements de rage en voyant leur proie s'échapper.

La muraille me semble épaisse de plusieurs mètres. En m'aidant des pieds et des mains et en m'accrochant à la moindre aspérité, je rampe dans un boyau étroit où l'air est irrespirable. La boue et le gel qui garnissent le fond m'aident à faire glisser mon corps et m'assurent une progression lente, tandis que les loups continuent à aboyer leur colère à l'entrée de la trouée.

Après quelques minutes qui m'apparaissent interminables, j'aperçois enfin la clarté du bout du passage. Après un ultime effort, j'émerge de ce boyau en étant complètement nu, glacé et épuisé. 

À ma grande surprise, alors que je m'attendais à déboucher dans une cour fermée, au contraire un immense paysage, étonnant et merveilleux, s'impose à mes yeux. La tour a disparu. Une douce chaleur pénètre mon corps comme un dictame. Tout mon être se détend, mes muscles redeviennent souples et les blessures de mon corps causées par le frottement contre les pierres disparaissent.

Je peux contempler une large vallée baignée de lumière s'ouvrant devant moi.

Une rivière dont l'eau, transparente comme celle de la source déroule en son milieu un ruban perlé d'éclats lumineux.

Dans la prairie, des coquelicots, des boutons d'or, des ombellifères, des orchidées, des renoncules, des bleuets, des cosmos, des narcisses et bien d'autres fleurs de mon enfance forment un tapis coloré et odorant.

La rivière est bordée par des arbustes qui peignent un camaïeu de verts tendres allant du jaune citron au bleu profond sur lequel se détachent des cornouillers blancs. La fragrance des viornes parfume l'air de la vallée.

Dans le lointain, la rivière se perd dans un lac bleu entouré de montagnes dont les sommets enneigés, embrasés par la lumière du soleil, scintillent comme des diamants. Sur les berges de cette étendue transparente, de nombreux animaux différents se côtoient et se désaltèrent tranquillement. Au bas des montagnes, de vastes champs de blé dorent les pentes douces.

Sur un grand rocher gris, un loup blanc lance son cri de ralliement et rapidement je me retrouve entouré d'une meute bienveillante. Mes mains s'enfouissent dans la toison épaisse des fauves qui sollicitent mes caresses en me léchant le visage.

Un soleil chaud et bienfaisant m'incite à me rapprocher de la rivière dont le murmure régulier fredonne une douce mélodie.

Tandis que je m'avance dans la prairie verte pointillée de taches de couleur, des insectes de toutes sortes et des papillons plus chatoyants les uns que les autres s'envolent en bouquet vivant. Des hirondelles tracent leur vol rapide et acrobatique tout en accompagnant ma progression vers le cours d'eau. Certaines me frôlent de si près que je pourrais les toucher du doigt. Dans les arbustes, les bruants, les pinsons, les loriots, les accenteurs mouchets, les fauvettes, les merles, les mésanges, tous les passereaux du monde, accordent leurs chants dans une vaste harmonie.

Un immense bonheur et une douceur infinie envahissent mon cœur. Jamais je ne m'étais senti si heureux.

En arrivant près de la rivière, je distingue la silhouette d'un jeune garçon de sept ou huit ans. Il est entièrement vêtu de blanc. Ses longs cheveux blonds, légèrement ondulés, m'empêchent de distinguer son visage penché sur l'onde transparente. Il m'a entendu venir, car il se redresse. En m'apercevant, un large sourire se dessine sur son visage et il se met à courir dans ma direction. Il s'approche rapidement et ses petites jambes semblent ne pas toucher le sol tant sa course est légère.

Et soudain, je le reconnais. Le garçon qui coure vers moi… c'est moi !

À la douceur et au bonheur qui m'avait envahi, s'ajoute le choc d'une grande émotion. Moi aussi je me mets à courir vers lui en écartant les bras, plein d'amour pour l'accueillir et le serrer contre moi. Mais, au moment où la jonction se fait, je me réveille.

C'était un rêve et ce rêve m'avait emporté dans un autre ailleurs, celui de mon enfance où je pouvais fuir l'esclavage de l'habitude et refuser d'emprunter toujours les mêmes chemins.

Un étrange sentiment de plénitude dilate mon cœur.

Et depuis ce rêve, j'ai navigué en solitaire et atteins l'île merveilleuse ou le temps n'existe pas. L'esprit joyeux débarrassé de mes stéréotypes, tout en suivant un filament d'espace, je marche enfin pieds nus sur le sable blanc, à la rencontre de la vague cristalline. Je crée une ouverture personnelle faite de la fusion de ce qui m'entoure avec mon vol à l'intérieur de celui-ci.

Être, ressentir le chaud soleil sur mon corps, avaler la lumière, me mettre en syntonie avec tout ce que je crois beau et supprimer l'affrontement du temps qui passe font que je ne crois plus à la fin du chemin. Voilà ce qui est devenu mon essentiel. J'étire les boucles du temps, je supprime "l'avant" et "l’après ».  Je fusionne le temps et l'espace dans une immobilité prégnante et j’introduis une étincelle d'infini dans le chemin de ma vie.

C'est ma nouvelle  volonté de penser mon monde dans le temps de l'instant et d'entrevoir un  horizon peuplé d'espoirs insensés et de rêves sans limites pouvant donner du sens à mon présent. Je découvre ce que je suis vraiment en rejoignant le moment de mon enfance et je refuse de percevoir ce qu'il y a derrière l'écran de mon ignorance !

Dans cette fin d'hiver, je neutralise en les coagulant les minutes qui s'égrènent en une cascade d'écume menaçante et j'enferme mes angoisses dans la nasse de mes interrogations.

Ma vie s'avive encore et je veux y entrer. Je ne veux plus être étranger au souffle du violon qui chante dans le lointain.

Je veux me laisser imprégner par la douceur d'un temps vécu au ralenti et le remplir de rêves voyagés sur les ailes des oiseaux.

Mais, ces mots, ces phrases que j'utilise ne sont qu'un pâle reflet de ce qui est en moi, car il n'y a point de mot pour dire qui je suis. Et pourtant, ce moi, j'essaye de le dessiner par l'écriture sur l'horizon du futur en espérant trouver la vie à l'état pur, comme soutenue seulement par le fragile battement d'ailes transparentes de la demoiselle que j'observe sur la mare. L'air qui entoure cet insecte est si fin, si léger si diaphane qu'il est invisible et paraît inexistant. Et pourtant, il est là et porte dans sa fragilité toutes les délicatesses du monde.

Au bout d'un moment, la libellule finit toujours par se poser sur le miroir de l'eau. Le reflet bleuté de ses ailes est alors comme un enchantement. Et puis, elle s'envole et disparaît définitivement, tandis que l'eau qui reste seule n'est plus pareille.

Alors, on pleure parce que seul dans le désert on ne sait comment retrouver son chemin.

J'avais 10 ans et la passion des cerfs-volants. Je les fabriquais avec beaucoup d'amour et de patience. Ils étaient beaux, plus spécialement le dernier. J'avais mis un soin tout particulier à choisir les deux baguettes de noisetier qui devaient servir d'armature; elles étaient souples, fines et droites. Ecorcées pour les rendre plus légères, solidement attachées en forme de croix, elles constituaient la charpente du cerf-volant. J'avais relié, par un fil à coudre de bonne épaisseur, les extrémités. Ainsi se dessinait un quadrilatère symétrique aux côtés égaux deux à deux. Un papier parchemin, collé avec un mélange d'eau et de farine, savamment dosé, recouvrait le tout. L'opération la plus délicate consistait en la mise en place de la ficelle réglable sur laquelle se fixerait le fil qui permettrait de faire voler cet engin magique.

Pour ce faire, l'expérimentation sur le terrain était indispensable. L'équilibre parfait fût trouvé grâce à l'adjonction d'une queue, faite de papillotes colorées. Dès les premiers essais, je me rendis compte que ce nouveau cerf-volant était bien né. Montant droit vers le ciel, il s'envolait sans difficulté.

 Il se balançait avec grâce, dès que j'arrêtais de débobiner la ficelle.

Le travail technique étant terminé. Il ne restait plus que la tâche la plus agréable à effectuer: donner vie à ce nouveau partenaire. Un après-midi entièr se révéla nécessaire pour concrétiser cette dernière étape. Sur le parchemin blanc, je dessinai mon prénom en lettres d'or. Je l'enveloppai ensuite de fines et harmonieuses arabesques noires, rouges et bleues, inspirées des motifs décorant les dragons chinois. De grands yeux noirs et jaunes surplombant une bouche gourmande complétèrent le dessin. L'effet obtenu dépassa mes espérances. Mon cerf-volant était impressionnant de taille et d'aspect. Lorsque je le contemplais, ses grands yeux me fixaient avec obstination et, comme ceux d'un chien fidèle, ils semblaient ne plus vouloir me quitter. Enfin, nous étions prêts pour de grandes aventures.

            Les jours qui suivirent la naissance de mon compagnon de jeu, furent délicieusement heureux. Chaque fois que le vent le permettait, je me retrouvais dans l'immense prairie qui bordait la rue où nous habitions. C'était une petite rue calme, composée d'une dizaine de maisons campagnardes rangées sagement les unes contre les autres ; en face un talus de quelques mètres de haut donnait accès à la prairie. Grâce à sa position élevée, elle était largement battue par les vents et constituait un terrain d'envol idéal. Pour y accéder, je devais grimper le raide talus,  mon compagnon sous le bras, et ensuite franchir la clôture de fils barbelés qui, de ses crocs acérés, la défendait. Une fois en position, je commençais par repérer la direction du vent. L'index, mouillé de salive et brandi au bout du bras, me servait de girouette. Le repère étant pris, comme dans un rituel, je saisissais mon cerf-volant et tout en le maintenant fermement, je l'offrais au souffle d'Eole. Il se mettait alors à frémir, impatient de se libérer. Alors, je le lâchais brusquement en lui donnant une impulsion vers le haut et il s'élançait à l'assaut du ciel. Petit à petit, comme à regret, je le laissais partir. Si je n'allais pas assez vite à son goût, il manifestait sa réprobation en décrivant un large cercle, rasant le sol dans sa trajectoire descendante. La peur qu'il ne s'écrase m'envahissait et je l'autorisais à s'enfuir, sachant que la ficelle, tel un cordon ombilical, l'attachait à moi.

Une fois là-haut, taquinant les nuages, il se calmait et dodelinait de plaisir. De temps en temps, quand je le trouvais trop endormi, je me rappelais à lui en fuyant vers l'avant, provoquant ainsi sa chute. Un arrêt brusque, suivi d'une course éperdue dans l'autre sens, le rattachait solidement au-dessus de l'horizon. Je m'affalais alors sur le sol pour reprendre mon souffle et m'attachais la ficelle à la cheville. La tête plongée dans l'herbe, je pouvais, ainsi, tranquillement observer le microcosme des insectes et rêver, tout en m'abîmant dans la sublime contemplation d'un avenir sans pesanteur, qui lâcherait la bride à mes désirs effrénés.

Quand le soleil se rapprochait de l'horizon, il était temps de rentrer, avant que le vol des hannetons n'annonce le repli définitif du vent. C'était un moment à la fois joyeux et nostalgique. Je bobinais la ficelle, et lentement mon compagnon quittait sa position dominante. Au plus la bobine de fil enflait, au mieux je distinguais son visage, et quand je pouvais enfin le saisir, c'était l'étonnement ; chaque sortie modifiait son aspect, car la courbe du vent creusait davantage sa silhouette. Il revenait d'un autre monde et je l'examinais toujours avec un peu d'anxiété. Quelques minutes étaient nécessaires pour le reconnaître et l'apprivoiser à nouveau. Mais rassuré par sa jovialité, nous rentrions tous les deux, complices, ivres de grand air et de fatigue, pour préparer une nouvelle journée de séparation et de retrouvailles.

            C'est un beau jour d'août. Dans l'air las de la matinée, de fines traînées de nuages avaient flotté langoureusement, mais l'après-midi un vent chaud s'est levé et les a emportés. La veille, je m'étais procuré une bobine de fil supplémentaire ; j'espérais faire voler mon cerf-volant plus haut, beaucoup plus haut. Je voulais qu'il franchisse le mur de l'horizon et explore, pour moi, des zones inconnues. Après un repas ingurgité rapidement, je gagne la prairie pour vivre, une nouvelle fois, quelques heures en compagnie de mon ami préféré. Présenté au vent et après ses cabrioles habituelles, mon cerf-volant s'élance rapidement dans un ciel sans nuage. La première bobine se vide à toute allure. Ensuite, une manœuvre délicate m'attend : raccorder la ficelle de la première bobine à celle de la seconde. Tout se passe bien et la deuxième bobine se déroule à son tour. Le cerf-volant prend de plus en plus de hauteur et ses couleurs se ternissent, dans le ciel bleu, il n'est plus qu'une petite tache sombre. Satisfait, je me couche dans l'herbe et me mets à rêver.

Dans l'air chaud, le bourdonnement exubérant d'un bourdon m'emporte dans mes songes…je vole.

En dessous de moi s'étend la vaste prairie dans laquelle je me suis allongé. J'y figure, minuscule comme la fourmi observée dans l'herbe folle. A droite, un champ de blé doré ondoie doucement. Une alouette en surgit en chantant à tue-tête. Elle essaie vainement de me rejoindre ; épuisée, elle finit par retomber, comme une pierre, à l'endroit précis de son envol. A gauche, ma rue et son talus se sont unis pour former un patchwork vert, rouge et noir. Le bruissement assourdi des feuilles agitées par le vent monte des collines verdoyantes. Un peu plus loin, la traînée sombre du chemin de fer véhicule une locomotive crachant ses volutes de fumée blanche. Comme la cicatrice d'un violent coup de fouet, la nationale quatre imprime sa marque noirâtre dans le paysage défiguré. La traversant, l'Orne, petite rivière capricieuse, se repose de temps en temps dans ses méandres paresseux ; dans l'un d'entre eux, je reconnais l'endroit où nous avions érigé, mes amis et moi, à l'aide d'un tronc d'arbre et de grosses pierres, un barrage. Il retenait une petite étendue d'eau dans laquelle nous allions nous baigner et déloger les chabots tapis sous les pierres. Nous avions pompeusement baptisé cet endroit : le golfe "Petit".

Devant moi, la prairie est limitée par le chemin de "Chastre" qui m'offre les couleurs et les senteurs de ses fleurs sauvages ; bleuets, coquelicots, anémones, boutons d'or, fleurs de pissenlit tapissent ses flancs en une féerie de couleurs chatoyantes et odorantes. Quelques digitales pourpres dressent leur verticalité colorée. C'est un très beau chemin de terre sauvage, peu fréquenté, à cause de sa pente, par les machines agricoles. Au printemps, l'aubépine avec ses fleurs blanches, délicatement posées sur ses branches presque nues, lui garde un côté hivernal, comme s'il hésitait à abandonner les frimas de l'hiver. J'avance dans ce chemin gorgé de soleil et raviné par les pluies. Un subtil nuage de papillons multicolores s'échappe de la végétation luxuriante et m'entoure de battements d'ailes enchanteurs ; tandis que les criquets, tapis dans l'herbe épaisse, manifestent leur mécontentement par l'arrêt de leurs chants lancinants. Le pinson chanteur appelle sa femelle, les chardonnerets picorent les chardons bleus et les tarins s'enfuient à tire-d'aile. Un bouvreuil, son ventre rose en avant, se goinfre des fruits d'un prunellier tout en me surveillant du coin de l'œil. La caille et les perdreaux se réfugient, en file indienne, entre deux rangées de blé. Des grappes turbulentes et bruyantes de moineaux vont et viennent sans but apparent, sauf celui de se faire remarquer. Un charançon joue l'équilibriste sur une bourse-à-pasteur. Une cétoine promène, sur un églantier, sa magnifique armure verte aux reflets dorés et tient compagnie à la bête à bon Dieu. Un lapin détale en zigzaguant, à la vitesse de l'éclair ; quelques dizaines de mètres plus loin, il s'arrête et prend appui sur son derrière, les pattes antérieures repliées sur la poitrine, les oreilles dressées, il observe le moindre de mes mouvements, prêt à s'enfuir à nouveau. Et au-dessus de ce petit monde, plane la menace d'un faucon crécerelle, guettant la musaraigne imprudente qui oserait s'aventurer à découvert.
Ce merveilleux chemin fait partie de mon univers, il est moi, je suis lui. Est-ce cela le bonheur ?

Je vole haut. Tout autour de moi l'horizon se courbe. Je ne suis pas parvenu à le franchir. Soudain, le ciel s'assombrit. De lourds nuages s'amoncellent devant moi. Le vent se renforce et se charge d'humidité. Je suis de plus en plus secoué. Bientôt, la traction sur le lien qui me rattache à la terre devient insupportable. Mes bras en croix se fatiguent et vont à la longue lâcher prise. Je tourne la tête vers le sol. Mon regard désespéré descend le long de la ficelle. J'espère trouver, au bout de celle-ci, celui qui peut me soustraire aux turbulences du vent. Hélas, je ne le vois pas. Je suis trop haut, il est trop loin, il ne peut capter mes signaux de détresse. Subitement la traction cesse, le lien qui m'unit à lui s'est brisé. Je suis emporté au loin et tout en tournoyant, j'amorce une chute vertigineuse. Mon cœur s'affole, mon estomac se noue, c'est la fin du rêve.

Au bout de quelques minutes, je me fracasse sur la cime d'un grand chêne ; elle me brise l'échine et ses branches me trouent le ventre. Je pends lamentablement au bout d'un morceau de ficelle. Seul ce bout de fil me retient encore à la vie.

Je suis perdu dans la forêt et je t'imagine, petit bonhomme, parti à ma recherche. Tu es triste, tu verses quelques larmes. Trop tard ! Tu ne devais pas me laisser filer si loin, sans t'inquiéter de moi. La forêt, dans laquelle je suis tombé, est trop vaste pour espérer me retrouver. Et puis, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Je ne pourrai plus t'accompagner dans tes courses éperdues. Je n'ai plus rien d'intéressant. Bientôt la pluie lavera mes couleurs que tu avais si bellement choisies et rendra à mon corps déchiqueté la blancheur du papier. Alors, mon ami le vent me déposera au pied d'un arbre et me recouvrira d'un linceul de feuilles mortes. Ma terre natale m'absorbera, lentement, sans regret, pour toujours.

            Me rendant à l'évidence, car je savais que c'était une entreprise vaine, j'avais rapidement abandonné mes recherches. La tête basse, car je me sentais vaguement coupable, le regard embué, je retournai chez moi. Ils restaient quelques jours de vacances. Je les consacrai à flâner dans la campagne, à observer le paysan fourbu, mais hilare, terminer la moisson. L'été, fatigué par l'enfantement de ses fruits mûrs, donnait des signes de faiblesse. Le soleil se couchait de plus en plus tôt. Les nuits devenaient fraîches. Déjà, les corneilles remplissaient le ciel de leur vol noir et inquiétant,  tandis que quelques unes d'entre elles s'acharnaient sur la dépouille d'un hérisson malchanceux.

Bientôt, l'école me confinera dans une insupportable immobilité, mais dans un coin de ma tête, une petite fenêtre s'ouvrira sur l'espace infini que nous avons, ensemble, parcouru.

En entrant dans le local de veille, on découvre une petite pièce mansardée et meublée simplement. Calé dans le coin gauche, un lit recouvert d'un sac de couchage monopolise une grande partie de la surface. En face, sur une table faisant office de bureau, un téléphone occupe son espace et est accompagné d'une petite lampe sur pied, une farde, quelques papiers et un bic. Un siège de bureau, le seul luxe de cette pièce, permet une assise confortable et fonctionnelle.

Entre le lit et la table, un fauteuil Ikéa et un lampadaire blanc sur pied, orienté vers le plafond, éprouvent de la peine à se caser. Au bout de cette table, une fenêtre allongée verticalement plonge son regard sur les lumières de la ville. Une étagère étroite, débordante de livres, couvre le mur de droite. Dans le plafond incliné, un velux dessine un rectangle bleu de Prusse garni d'étoiles.

Il est 22 h. Aussi confortablement que possible, je m'installe à la table et avec un peu d'anxiété, je fixe le téléphone, cet objet avec lequel je m'efforcerai de tisser des liens de vie avec l'autre. Il ne tardera pas à vibrer et je sais qu'il m'accompagnera jusqu'au bout de la nuit.

Le temps passe, et au fil des conversations la fatigue me gagne. Il est 5 H 40. Je profite d'un moment de répit pour m'allonger sur le lit.

La pression a été grande et mon esprit éprouve la nécessité de s'échapper sur le chemin de l'imaginaire. Je navigue à la recherche d'une île déserte où je n'entendrai plus que le chant des oiseaux et le doux murmure des vagues s'échouant sur la plage de sable fin.

C'est en face de moi que je découvre mon île mystérieuse: sur le mur ocre rouge, s'enchâssant l'un dans l'autre comme les différents cylindres de la longue vue du capitaine de la caravelle, s'impose à ma vue un immense cadre de bois entourant un rectangle blanc duquel se détache une photo. Une étoffe bleue occupe la majorité de l'espace de la composition et laisse voir une partie d'un visage coloré par un soleil brûlant : des yeux, des paupières, le haut des joues, le bas du front et la naissance du nez. Malgré les fins sillons sur sa peau, délicatement ciselés par le sable et le vent, je devine un visage appartenant à un homme à peine sorti de l'adolescence. Les rides précoces n'ont pu ôter la jeunesse de ses traits et la virginité de son âme qui se reflètent dans ses yeux. Ceux-ci sont comme deux perles précieuses et brillent dans l'écrin sombre du chèche en lin. Le regard est fascinant et rempli de noblesse et de fierté, mais aussi d'une douceur bienveillante. Il est tout enluminé par l'indigo qui vaut à ce personnage le surnom "d'homme bleu". Je les regarde fixement et bientôt mes paupières s'alourdissent, ma vue se brouille et mon âme part à la rencontre du Targui. Ses yeux sont comme des fenêtres ouvertes sur un autre pays et irrésistiblement, je pénètre en eux pour traverser l'image.

De l'autre côté, je revêts le boubou taillé dans une étoffe de coton et je m'entoure la tête de la longue taguelmoust de lin blanc pour me protéger du soleil et de la poussière fine des sables emportés par le vent. Mes pieds s'enfoncent dans le sol qui se dérobe sous mon poids. Je m'étonne de sa consistance molle et douce. C'est comme si je foulais le sol d'une autre planète. Je rejoins péniblement le vélum de la tente faite de peaux de chèvre et qui s'ouvre au couchant.

C'est là qu'assis sur une natte, le Targui m'attend.

Nous échangeons quelques phrases de présentation. Le mot "Touareg" signifie "abandonnés" dit-il, aussi nous préférons qu'on nous appelle " Imuhagh" c'est-à-dire "noble et libre". Je suis né au flanc d'une dune.

Toute ma jeunesse, j'ai parcouru les sables avec mes frères et sœurs, le peuple touareg et leurs troupeaux, vers de nouveaux pâturages. Le désert est mon monde.

Mais bientôt, telle la vague envahissant peu à peu le sable du rivage, l'aube rosit celui qui s'étend à perte de vue autour de nous. Un premier rayon de soleil enjambe le creux des dunes qui profilent notre horizon et trace un long trait lumineux qui se dessine jusqu'à nous. De ce rai de lumière s'écoule lentement la vibration aveuglante de l'astre du jour.

"Viens, me dit-il alors, il faut partir, car la route sera longue".

Et il m'entraîne vers un troupeau de dromadaires qui blatèrent, impatients de se mettre en route. Il baraque un méhari et je grimpe sur ce vaisseau du désert pour entamer notre périple. Nous quittons l'oasis et sa palmeraie et emportés par le roulis de nos montures, nous partons à la découverte de paysages hors du commun. A peine avons-nous quitté l'oasis et sa palmeraie accueillante que déjà d'énormes ondulations s'étendent du nord au sud en s'ouvrant sur de vastes espaces colorés qui se métamorphosent à toutes les minutes de notre progression. S'extirpant de son lit de sable, le soleil atteint rapidement le sommet de ces dômes naturels construits par le vent. De ses rayons obliques, il répand de larges traces d'or qu'il laisse dans les airs, révélant ainsi les milles nuances de l'ocre.

Nous traversons difficilement un aklé, ces dunes aux arêtes vives et sans direction qui se chargent de tous les ors du monde. Nous longeons ensuite un arzrag, immense rocher sombre engoncé dans le sable et nous empruntons les couloirs formés par l'alignement des dunes. 

Jouissant du spectacle magnifique qui m'est donné à voir, mon œil s'égare dans un dédale de couleurs douces. Mon corps se laisse bercer par le rythme alangui de ma monture. Je suis mon compagnon qui semble guidé par un invisible fil d'Ariane qui nous mènera à l'oasis de Kaouar où, a-t-il dit, nous chargerons le sel et les dattes.

Sur cet océan de sable, toutes les perspectives semblaient bornées, mais si nous venions à franchir une dune, si l'horizon venait à se courber, l'espace s'ouvrait lentement devant nous découvrant ainsi l'œuvre sculptée du vent capricieux et puissant. Je savourais alors, éperdu, l'immensité sacrée de ce splendide et flamboyant empyrée. 

J'avais l'impression de n'avoir jamais vécu et me sentais au premier moment de ma vie, le premier moment peint au naturel dans ce jour filé d'or et de lumière.

A midi, tout est silence et l'air brûle. Nous traversons une plaine située entre les monts sablonneux.

Le soleil est à la verticale. La chaleur nous écrase. Elle tente de s'insinuer dans le moindre écart entre mon corps et mon ample vêtement dont les mailles lâches laissent passer quelques souffles d'air qui évaporent à peine la sueur de ma peau. Une somnolence s'installe. L'ondulation des collines blondes qui bordent l'aftout fait briller jusqu'à l'aveuglement la lumière qui s'y réverbère. En même temps que leurs ombres, les formes disparaissent peu à peu. La gamme des ocres se dilue pour laisser la place aux sables devenus blancs.

Alors, l'espace se tend entre la blancheur du sol et la lumière incandescente du ciel.

Devant moi, je ne distingue plus qu'une forme sombre rongée par un halo de lumière: la silhouette bleue du Targui qui dans l'air semble flotter. De temps en temps, il se laisse rejoindre et m'invite à me désaltérer à l'outre salvatrice. Puis, emporté par le tangage de son méhari, il continue imperturbablement sa route. 

Peu à peu les ardeurs du soleil se sont faites moins oppressantes. De son haleine tiède, un léger vent a évacué la touffeur de l'air. Nous franchissons des collines roses et rougeâtres et le miracle s'accomplit: au détour de l'une d'elles surgit une improbable mare d'eau bordée de quelques palmiers.

C'est là que nous passerons la nuit.

A l'abri de la dune, nous installons notre bivouac. Nous dressons la tente et partons à la recherche de bois mort.

Petit à petit, l'obscurité tombe sur le sable qui exhale maintenant une douce chaleur.

De deux cailloux qu'il frappe l'un contre l'autre, mon compagnon fait jaillir l'étincelle. Il enflamme la touffe d'herbes et la porte au bouquet de branches qui se transforme rapidement en brasier. Le feu, astre tremblotant, projette sur le sol nos ombres vacillantes et devient pour nous un soleil au début de la nuit. Sur les flammes qui dansent, il dispose l'eau et me convie au cérémonial des trois thés: le premier est amer comme la vie, le second  fort comme l'amour et le dernier doux comme la mort.

Les langues de feu fatiguées ont arrêté leur folle sarabande.  Le Targui a creusé un trou dans le sable dans lequel il dépose des galettes de semoule mélangée avec de l'eau et il les recouvre de cendres et de braises. Cuites à point, avec quelques dattes, ce sera notre frugal repas de ce soir.

L'homme bleu me parle alors de ses coutumes et comme un dictame, je sens se répandre dans mon esprit sa parole apaisante. Tandis que ses gestes lents et mesurés décrispent mes muscles fatigués, je m'abandonne à la magie de ces instants.

Bientôt, dans le sombre azur de la voûte céleste, rayonnent des millions d'étoiles étincelantes qui m'emportent loin de la lourdeur de mon corps.

"Choisis une étoile ", me dit celui qui est mon guide.

 Après un long silence, il murmura :" quand tu seras loin, en la regardant, tu penseras à cette nuit… et moi, je me souviendrai de toi".

Le temps s'est arrêté. Il n'y a plus rien que l'immensité au-dessus de ma tête et l'immensité au-dessous de mes pieds.

Que pour toujours ce moment puisse fixer ma course vagabonde et oublier le reste du monde et sa bogue d'habitudes qui, jusqu'à l'étouffement, coagulent la vie . 

Et dans mes souvenirs, je jette tous les embarras de l'existence pour n'en retenir que sa beauté.

Dans les méandres de ma mémoire, je traque toutes les beautés du monde: la beauté d'un sourire, la beauté de l'amitié, de l'amour et de la tendresse dans les corps qui s'étreignent, la beauté de cette journée merveilleuse.

Doucement, une main se pose sur mon épaule tandis qu'une voix calme m'invite au sommeil:

"Il faut dormir maintenant".

J'obéis à cette invitation et mon corps rejoint son ombre projetée parun rayon de lune sur un sable si fin qu'il en épouse toutes les aspérités.

Mes paupières, lourdes de sommeil, se referment sur mes yeux débordant de larmes d'étoiles.

Soudain, dans ce désert magique, une sonnerie anachronique et pourtant familière, tire sur le fil de mon rêve.

J'ouvre péniblement les yeux et j'aperçois curieusement inversé et laissant la terre dans la pénombre un soleil illuminant un ciel couleur saumon; c'est le lampadaire blanc du local de veille qui projette sa lumière blafarde sur le plafond coloré. Un terrible effort est nécessaire pour me retrouver, car j'ai endossé à ce point le k'sa de ce voyage rêvé, qu'il me parait impossible de l'ôter. Mais la petite lumière rouge et clignotante éteint brusquement la toile de mes songes, elle  bouscule l'illusion, rompt le charme et me ramène à la stricte obédience de la réalité.

Je me réveille enfin.

Ma montre marque 6 h.

Est-il possible qu'une vingtaine de minutes se soit transformée en une si longue journée ?

Sur la ville, le ciel déverse toujours son encre noire qui forme de larges flaques sur les toits plats des maisons. Un fin crachin déprimant a éteint les étoiles. Malgré les réverbères, le sombre s'insinue partout, dégouline le long des façades, envahit les venelles et s'arrête enfin sur les reflets des pavés mouillés.

Dans la cité encore endormie, des monstres d'acier envahissent l'espace étroit des ruelles et les parcourent en avalant, dans un grand bruit de leurs mâchoires puissantes, les déchets malodorants des poubelles pansues.  

Le Targui, toujours accroché au mur, me regarde. Je crois deviner sur ses lèvres cachées, un sourire légèrement moqueur lorsqu'il me voit mettre fin à la sonnerie en décrochant l'engin qui m'a réveillé.

Alors, je découvre la beauté douloureuse de l'être que j'écoute. Comme l'anémone de mer qui, pour se protéger de la houle, se blottit dans sa concrétion fragile pour s'accrocher à la vie, il n'a d'autre alternative que de se réfugier dans la parole confiée à une personne inconnue

Et je voudrais être son Targui. 

Je rêve d'atténuer sa souffrance, ne fusse qu'un instant. Je désire cheminer avec lui dans la solitude de son désert à la découverte d'un peu de beauté afin que les mots amour et tendresse puissent encore être prononcés.

Je voudrais lui dire que le soleil se couche sur la mer apaisée tandis que les étoiles scintilleront à nouveau au ciel indigo.

Je voudrais lui dire que malgré tout, il faut vivre pour le meilleur de tous les matins du monde et partir à la recherche de la beauté qui féconde la vie haletante. 

Je voudrais lui dire que se pose sur les ailes de l'espérance, échappées à la cruauté du fatum, la conscience du beau qui lui permettra d'exister, tout simplement.

Mais je sais que ce ne sont que des paroles et que c'est en lui qu'il trouvera la force d'affronter son destin.