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MA MERE-GRAND

 

 

   Elle s'avançait dans l'allée du jardin, s'arrêtait au bout de quelques pas. Là, un instant d'immobilité lui permettait d'accomplir une foule d'opération dont le bon déroulement assurait le succès d'une des tâches les plus graves de la journée. Légèrement campée – le camper des chevaux –, elle vérifiait l'équilibre de ses appuis, commandait à ses neurones une laborieuse obéissance, conduisait l'influx vers le centre de son individu, décontractait les sphincters et, brutalement, ouvrait en grand les vannes, tout debout, de façon altière, massive et radicale. Cela fait, elle opérait  un demi-tour de sa démarche déjà claudicante, presque sur la tranche de ses vieux pieds déformés, non sans avoir éclaboussé ses larges chaussons noirs.

 

   Telle qu'elle était, nouée de rhumatismes, quasi incontinente, malpropre, peut-être paresseuse par manière de laisser-aller et, de surcroît malveillante envers ma propre mère, elle était ma grand-mère, la seule que j'eusse, et je l'ai toujours considérée comme telle.

 

   Ajouterai-je que, enfant mâchuré au visage collant de miel ou de confiture, je me voyais régulièrement appliquer en débarbouillage sommaire son index recouvert d'un mouchoir, le sien, souvent défraîchi, qu'elle imbibait copieusement de sa salive… Demandait-on à l'Esprit Saint d'avoir goût suave et haleine fraîche dans sa sécrétion salivaire du prêtre qui sanctifiait jadis les lèvres du nouveau-né ? Poésie de l'horrible, peut-être, mais l'odeur et la saveur douceâtres de mon aïeule directe sont l'une des sensations fortes de mon jeune âge qui m'ont marqué à tout jamais, comme si la partie acquise des défauts familiaux, distinctement de la partie native, était aussi passée par elles, dans ce geste primitif, animal et tutélaire de la vielle penchée gémissante pour rapproprier sous la table ma frimousse d'enfant joueur.

 

                                                                                                                         Henri B. Laboucarié

 

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José Pigeolet Pigeolet José - dans métopes

  • : Le blog de José Pigeolet
  • : Peindre avec les mots ou écrire avec la couleur; la peinture et l'écriture créent des atmosphères qui jettent sur le monde qui nous entoure un regard révélateur de ce que nous sommes et ce vers quoi nous allons. Peindre ou écrire sont des actions qui commencent par la même angoisse du blanc sur la toile ou la page. Expulser les images que l'on a en soi, dans la joie ou la douleur, mais toujours dans le doute. Les jeter sur un support aide à mieux comprendre ce que l'on est par la vérité qui se révèle dans le regard des autres dans leur contact avec les œuvres. C'est l'ouverture de la route sur la quête de son identité. Réflexions colorées ou écrites, vous en trouverez quelques-unes sur mon Blog. À vous de les interpréter et peut-être de rejoindre une part de vous-même dans ce lieu "imaginaire".
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