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                      Mourir le corps à quinze ans

 

Après avoir fait l'amour pour la première fois,

Prendre le vent de bout sur le catamaran,

Filer nu sur le bleu océan

Et s'échouer sur un banc de sable blanc.

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Se baigner sous la cascade aux écrevisses

Crier a tue tête le vacarme de l'eau

Erodant les rochers.

 

Ne plus écouter le temps

Avoir l'impression d'être perdu,

Les yeux dans les étoiles

Qui rient de leurs éclats.

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Les genoux en sang,

Tomber dans le puits noir

De la morsure d'un amour ardent.

 

Ne s'endormir qu'une fois

Pour partir, les cheveux ébouriffés,

Sur une planète lointaine

D'où l'on ne revient pas.

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Quitter les larmes

Avant que le ciel grisaille.

Quitter la vie

Avant que le cœur ne soit dépourvu.

Avant que l'orage ne périsse

Se noyer dans une pluie de larmes

Et fermer les yeux.

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Jeux interdits

Qui franchissent l'issue.

 

La mort vient à la vie et

Son parfum transporté par le vent

Goûte une beauté plus grande 

Que l'instant du souvenir lointain

Des contrées anciennes.

 

Mourir le corps à  quinze ans.

 

Avant que la vérité ne devienne laide,

Avant de se laisser

Envahir par la sagesse.

Fuir l'obscurité

Des infinis couloirs du présent.

Avec des rêves de gosse

En mon âme éternellement,

Oser ce silence, 

Niché au creux de l'essence,

Dans l'espace du dedans,

 

Mourir le corps à quinze ans

 

Poser ses bagages,

Disperser son souffle à tous vents.

 

Le froid de la peau nue,

L'éclat noir de la nuit.

Mourir l'illusion de vivre

Et les brisures du temps

Gainés d'une âme impure.

Ne pas se laisser surprendre

Par l'hiver de sa vie

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Adieu l'odeur du temps,

Sa saveur d'un instant.

Adieu les souvenirs perlés

Des rires de l'enfant

Qui font croire

Aux plaines fertiles d'antan. 

 

Inhumer la clé sous le paillasson

De mes rêve perdus,

D'une île déserte

Au bout de l'océan, 

De mes mirages de galets blancs,

De mon cœur fou

Dans l'hiver du temps.

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Heureux, je m'éloigne de vous,

De mes amours uniques.

Les yeux pleins de lumière

J'hôte mes vêtements,

J'abandonne les passions

Qui me blessent.

 

Mourir le corps à quinze ans.

 

Main délivrée,

J'ai peint ma vie,

Je peins ma nuit,

Je peins ma mort,

 

Dans la clairière

De la rivière endormie

Où flottent mes souvenirs vagabonds.

De tes cheveux de blé

Noyés dans le manteau de brume

De mon jardin secret.

                                                    José, le 12 août 2020

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José Pigeolet Pigeolet José - dans Métopes
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Ah, c'était le bon temps,

Le temps de notre enfance,

Le temps des châteaux de sable,

Le temps de la luzerne,

Le temps des gerbes liées,

Le temps où l'on parlait aux oiseaux,

Le temps des hirondelles,

Le temps des hannetons,

Le temps de la rivière claire, 

Le temps des âmes neuves et pures,

Le temps déshabillé.

Le temps où on aimait la pluie et le vent

Le temps de la neige abondante,

Le temps de l'insouciance,

Le temps déraisonnable,

Le temps des rêves dans les contrées fabuleuses,

Le temps des dimanches en gloire,

Le temps de nos seize ans,

Le temps de nos vingt ans,

Le temps qui nous paraissait facile,

Le temps de nos escapades,

Le temps des samedis soir et des nuits blanches,

Le temps des  "surboums",

Le temps des baisers volés,

Le temps des copains,

Le temps de Brel et de Brassens,

Le temps des amants enlacés,

Le temps des amours fous,

Le temps des rivages de sable chaud,

Le temps des galets blancs,

Le temps imprégné d'amour,

Le temps intrépide,

Le temps du passé riant.

 

Le temps où l'on ne savait pas

Que les oies sauvages dans le ciel gris,

Par leurs chants tristes, frissonnent le temps

Ce temps-là est parti, envolé

Comme un soleil révolu.

Alors le bon temps,

C'est aujourd'hui et demain.

 

                                                                                        José, le 28/03/2020

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LA BUGADE

 

       Faire la bugade, c'était faire la lessive, tout simplement. Mais que d'opérations recouvrent le seul fait de nommer cette banale tâche ménagère !... Opérations inattendues pour l'ignorant de nos coutumes, mais ravissantes pour celui qui les a connues. Cette tâche est totalement mécanisée aujourd'hui, sinon gouvernée par l'électronique; elle ôte tout contact avec la matière, ce qui est le but visé, bien sûr, mais elle est tellement éloignée de la nature et combien peu écologique ! Notre propreté même salit notre eau; le Rhin charrie des paquets d'écume blanche… Chez nous jadis, en revanche…

        Mais prenons tout au commencement. Comme dans toutes les sociétés vivant en autarcie, j'imagine, rien de ce qui se consommait ou s'usait chez nous n'était définitivement perdu ou détruit. C'est d'ailleurs une caractéristique de bien des mentalités paysannes que cette tendance à vouloir tout garder: on saisit l'objet déjà jeté ou juste avant. On le porte à ses yeux, bien près. On le détaille du regard. On le hume, on l'estime, en mesurant le sentiment que l'on n'a pas cessé d'avoir pour lui, toute sa vie durant, aussi bien que son prix hypothétique, c'est-à-dire ce qu'il a coûté jadis, ce qu'il coûterait aujourd'hui et ce qu'il permettrait encore. Alors, presque toujours, on le replace; rarement dans un ordre précis, d'ailleurs, mais en un désordre foisonnant, capharnaüm intolérable aux yeux d'étrangers à nos coutumes…

       Or donc, rien ne se perdait et la lessive commençait en fait jour après jour dès la dernière en date par une lente récollection de la cendre du foyer. On les entassait en quelque coin reculé de la maison, à l'abri des bêtes malpropres. En même temps, s'accumulait aussi, pendant des mois, après usage, le linge blanc qui descendait des piles inépuisables des grandes armoires sombres: fins draps immaculés, brodés au chiffre du chef de famille ou à celui de son père quand un partage avait lieu, quelquefois à celui d'un aïeul plus reculé encore, car le textile était bon et d'un usage modéré. Comment oublier, dans la pénombre jalouse des chambres, toujours entrebâillées bien mince pour garder le soleil au-dehors, l'ouverture solennelle de l'armoire ? La porte grince, immense, menaçante. La blancheur saisit, multiple, bien rangée, et l'odeur…l'odeur du linge propre, parsemé de la lavande des Pradelsou de celle, déjà presque exotique, car plus lointaine, des hauteurs de la Brigolhèra , que la main de la lavandière, encore ridée par l'eau, glissait entre les plis…

       Trois mois, quatre, quelques fois plus. Trois mois, durant lesquels l'oncle Jean, par exemple, au même jour de la semaine, changeait sa chemise blanche, qu'il arborait dimanche et ordinaire, chemise à grand panelet à soufflet, sans col. Pour les occasions importantes, il ajouterait un col dur? Boutonné par-dessus, et un nœud de cravate à grandes ailes. Avec le pantalon gris foncé à rayures, avec la tailloleplus claire, trois fois roulée autour des hanches, et le gilet noir sans manches décoré de la chaîne de montre, la chemise de toile blanche était l'essentiel de l'habillement pour un homme.

       Au jour choisi, ma mère, le matin, installait dans le hangar, près de la porte, le cuvier de fer-blanc, immense, dont le fond était supporté par un solide entablement de bois. Nous le surélevions d'un demi mètre sur des moellons, de façon à ce que sa vidange surplombât aisément ensuite un vieux seau à vendange. Dans le fond du cuvier, maman disposait des couches et des couches de linge: draps, chemises, caleçon, grands mouchoirs de lin. Une fois le linge épuisé, elle le recouvrait d'une toile de jute très serrée, immense, dont les bords remontaient par-dessus les parois du cuvier et en retombaient assez largement. Il fallait que la toile n'eût pas le moindre petit trou. C'était très important, car à présent, maman versait par-dessus le tout, et bien retenue par la toile, toute la cendre accumulée. Une épaisseur de trente centimètres au moins, uniformément répandue. Ce serait là le principe actif de la lessive. La soude. La soude de la cendre. Chimie simple, gratuite, inoffensive et remarquablement adaptée par des siècles d'économie et de pratique domestiques. Avec le sale on fait le propre. On blanchit avec le noir, l'âtre. Une chose et son contraire, c'est toujours la même idée. Gardez-vous de vous fier aux apparences…

       Pour l'heure, il fallait tout de même faire passer la vertu de la soude au travers des couches de linge sale. C'est alors qu'intervenait le deuxième ustensile, magnifique objet de fer forgé et de cuivre qui a hélas disparu de toutes nos maisons: le fourneau. Un fourneau de forme cylindrique évasé vers le haut, grand comme un enfant de dix ans. Son buste, élargi, contenait de l'eau. Son ventre, comiquement posé sur trois petits pieds de fer était un foyer dont la cheminée traversait le réservoir d'eau obliquement et de bas en haut, puis se prolongeait jusqu'à deux mètres de hauteur par un tuyau de poêle.

       C'était moi qui ouvrirais et fermerais la porte pour y introduire le combustible, de grosses pommes de pin d'Autriche ou sylvestres que j'avais moi-même ensachées au Pas de la Mule, où elles venaient bien grosses. Leur peu de cendre n'encombrerait pas le petit foyer. Le tirage était extraordinaire. Les petites bombes fusaient en ronflant et cette bruyère chauffait très rapidement. À grandes cassolées, maman puisait l'eau bouillante et arrosait la cendre, uniformément. Au début, à cause de la grosse absorption, il fallait, au fur et à mesure, remplir de nombreuses fois le réservoir et un volant d'une centaine de litres d'eau, deux peut-être, circulait régulièrement entre le cuvier et le fourneau. Quand toutes les épaisseurs étaient imprégnées de lessive chaude, il suffisait de la récupérer avec un jeu de récipients appropriés, sous la goulotte du cuvier. Je choisissais la plus raide et la plus longue feuille du laurier-rose pour prolonger le jet et le bien faire verser au centre du seau. Je soulevais la clenche du fourneau, j'introduisais les pommes de pin, je portais les seaux. Je regardais ma mère verser la lessive, l'air grave, appliquée. La bugadesentait bon, j'étais heureux.

        Quand la cendre se tassait, je voyais parfois apparaître la coquille d'un œuf, que j'avais mangé à la coque tel jour, ou un autre objet qui avait fini sa carrière dans les flammes de la cheminée et non dans le tombereau de Petit-Paul, l'employé municipal. Mais ce n'était plus une saleté. A quatre-vingt-quinze degrés durant deux heures, tout avait été nettoyé, assaini, comme l'avait fait le feu déjà auparavant.

        Une fois l'opération achevée, la cendre irait à la terre du jardin. Le linge, en plusieurs panières d'osier que nous vendaient les gitanes, serait d'abord rincé au bassin du jardin. Maman n'allait pas au lavoir municipal, au demeurant bien joli, et surtout commode à nos baignades de garnements; elle disposait au jardin d'un grand bassin à deux bacs près de la pompe et du puits. C'était alors une longue et sonore séance de battoir. Ensuite, je l'aidais à étendre sur quelque bartas, en une lande voisine, au grand soleil de midi, chaque pièce fixée par quatre pierres sèches, écartelée entre le bleu du ciel et les buissons de thym ou de romarin, de bruyère ou de genêt, qui parachevaient l'action purificatrice de la cendre en imprégnant nos toiles de leurs arômes.

       Peu d'éléments de notre vieille civilisation dont je me souvienne ne m'ont frappé autant que la bugade. Le nom lui-même: évoquerai-je lebug, terme générique pour récipient, ou bien le verbe bugear, verser, ou encore la buga, la buée qui se dégageait à chaque fois comme une gloire vaporeuse autour du cuvier odorant. Jadis, on disait bien : buée, mais ce n'est plus compris.  Ce nom, je ne lui connais pas d'équivalent en Français; il est caractéristique, je veux dire qu'il a du caractère, il désigne une chose précise, concrète, et elle seule. Il n'est donc pas galvaudé, mais approprié; il est un nom qui se respecte, un nom propre.

       Au-delà de lui, l'enchaînement des gestes nécessaires pour réaliser la tâche elle-même montre de façon très forte que le mode d'existence de nos anciens était fortement lié à la nature, qu'il s'inscrivait avec une grande et simple beauté dans les équilibres naturels que l'ont redécouvre aujourd'hui, avec une angoisse passionnée pour certains, avec un snobisme en fait indifférent pour d'autres. Sage et complexe subordination d'opération dont aucune n'est faite pour elle seule, mais exploitée dans plusieurs directions où elle est efficiente, et, de surcroît, entièrement dépendante des autres, sans lesquelles elle ne pourrait avoir lieu. C'est un schéma analogue à celui des pyramides écologiques de nutrition, depuis le puceron, le moustique et le ver de terre jusqu'au prédateur dominant, schémas triangulaires que nos élèves apprennent au collège. Si un chaînon est infecté ou supprimé, l'espèce au sommet de la pyramide est menacée d'extinction. C'est le renard, c'est la cigogne, c'est le faucon pèlerin. C'est au bout du compte, tôt ou tard, l'homme.

       Ensachant des pommes de pin au Pas de la mule, je protégeais le sol, si peu que ce fût, contre les incendies, comme la Marie du Tit de son côté, charriant à longueur d'année sur son dos de crépitants fagots d'argélatspour son feu. Je ne faisais pas que préparer une belle bugade, pour laquelle des bûches n'eussent pas convenu, et en utilisant la soude sous cette forme, ma mère et mes aïeules rendaient à la nappe phréatique une eau peu concentrée, non souillée, naturelle.

       Sage et complexe subordination d'opérations faites, enfin, sans aucune importance   donnée au temps, mais avec la certitude que, en quelque sorte, il ferait tout lui-même, car une fois exsudée la peine de nos bras, tout nous était de toute façon donné, parfois avec parcimonie, parfois en quantité suffisante, mais inéluctablement, par le retour des jours et des saisons.

       Décidément, la bugadem'a rendu bien sérieux et par trop philosophe. Pour me faire pardonner, je vous raconterai bientôt une autre histoire, aussi à base de soude utilisée pour nettoyer, c'est celle du légendaire savon des Gruissannots.

                                                                                                   Henri B. Laboucarié
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Espoir

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Azeroles et azeroliers

 

 

Ma petite enfance a été marquée par la présence d'un arbre très particulier, au milieu de nos vignes qui entre Boutenac et Ferrals les Corbières, descendent ver le terrain d'aviation de Lézignan.

         Cet arbre n'est plus là de nos jours et il me manque.

         C'était un très vieil azerolier. Ma mère, à l'automne, récoltait les azeroles et nous faisait une délicieuse gelée qui enchantait et nos goûters nos petits déjeuners. Plus tard, j'ai appris que azerolierétait bien le nom français et non, comme je le croyais un nom local. Le nom latin est Crataegus Azarolus. C'est une espèce arborescente de l'épine blanche, l'aubépine commune. Le bois en est très dur, l'écorce tourmentée, un peu comme celle de l'acacia, et les feuilles découpées.

Les baies, rouge orangé, sont du volume d'un gros pois. À l'intérieur du fruit, un double noyau hémisphérique laisse peu de place à la pulpe qui l'entoure: il faut beaucoup d'azeroles pour faire un pot de gelée. Si vous voulez avoir un avant-goût du produit, croquer l'azerole crue vous renseignera par sa saveur, plus ou moins acidulée selon les arbres.

         Longtemps j'ai cru que l'azerolier était un arbre méditerranéen, jusqu'au jour où, me promenant dans les jardins de Kensington à londrès, précisément tout près de la statue de Peter Pan et de cette grande mare putride  qu'est la Serpentine, j'y ai vu quantité d'azeroliers, à la disposition des merles et des écureuils ou, qui sait, des enfants perdus de l'île.

         Depuis, j'ai ouvert l'œil et j'en ai vu quantité d'autres un peu partout en France, y compris dans ma terre d'exil champenoise. Mais dernièrement,

c'est à Gruissan, au pied de la tour Barberousse dont ils couronnent le soubassement, que j'en ai trouvé plusieurs Les azeroles étaient belles dans la lumière dorée de ce mois d'août  2006 et j'en aurais bien rempli un sac si je l'avais eu avec moi. À défaut, les miens m'ont acheté au marché de l'église à la Nouvelle, à un paysan des Cabanes de la palme, un joli pot de gelée d'azeroles.

         Tout le monde n'est pas Proust, mais chacun peut avoir sa madeleine… 

 

 

 

 

 

                                                                                         Henri B. Laboucarié 

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Les lentilles

 

 

 

Nous sommes tous réunis sous la lampe. Papa ou maman a fait descendre la suspension à abat-jour. Le curieux contrepoids de faïence ovoïde lesté de plomb est remonté au plafond de l'autre côté de la poulie, vers l'anneau à suspendre le cochon qui est cloué dans la poutre.

À l'extérieur, c'est la nuit, nuit informe et pleine de terreurs, mais la nuit que j'oublie. Seule compte cette veillée familiale où chacun se recueille pour préparer ensemble le lendemain et cette occupation utile procure du contentement à tous.

Maman a distribué une partie du sachet de lentilles vertes du Puy autour de la table. Je pense aujourd'hui qu'elle donnait à chacun selon son âge, et c'était très sagement, car cela correspondait sans doute aussi à la quantité de ce que chacun mangeait.

         Dans la vieille assiette de faïence Sarreguemines "Terre de Fer", blanche rayée de rouge et bleu, déjà ancienne et fort tressaillée, nous poussons du doigt les graines, les séparons et éclaircissons pour trier  et éliminer les petites pierres volcaniques de couleur brune, bulbeuses, qui se cachent ente elles et nous feraient grincer les dents.

         Papa explique que ce sont des projections volcaniques ou des débris de lave. Dans "le tour de France par deux enfants", que nous lisons ensemble à d'autres veillées, il nous a montré au Puy le curieux piton qui porte

l'oratoire Saint-Michel. Plus tard j'apprendrai ce qu'est un pech, ou Puech, ou pog ou puy, et je ne l'oublierai pas où je l'ai appris pour la première fois, là, autour de cette table avec les miens. Dans un manuel de géographie, Callouédec, j'ai aussi déjà appris ce qu'est un volcan: la baie de Naples, le

Vésuve, que j'ai si souvent visités plus tard, Ischia, Lanzarote, Nossi-Bé, toutes les terres d'origine volcanique, fertiles, légères et chaudes qui produisent la vigne ou d'autres cultures plus exotiques. En Auvergne, me dit-on, terre des Puys, ce sont de verts pâturages et au Puy-en-Velay, les lentilles que nous adorons tous. À cette époque, elles ne sont pas encore une appellation contrôlée et contiennent quelques cailloux. Il faut les trier.

         Demain, je savourerai avec l'oignon fondant dans la bouche, encore marqué du girofle dont il est encloué, avec la gousse d'ail qui oublie son ardeur.

Maman aura aussi mis de la saucisse dans le pot, et du lard. Cela fleurera bon les aromates. S'il reste une pierre, nous lèverons tous la tête et froncerons le sourcil en simulant la réprobation, nous observant les uns les autres pour la forme.

 

                                                                                          Henri B. Laboucarié 

 

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                                                     Elie et l'oncle Pélo

La Lanterne

 

Dans le salon de la maison Pélofy, déjà décoré d'objets africains, mon oncle Élie joue par terre. Il est nuit et, près de lui, réunies sous la lampe à pétrole, les grandes personnes jouent aux cartes ou bavardent. Quatre messieurs ont terminé une manille acharnée et l'oncle Pélo a de la peine à réprimer sa fureur, car il a perdu, assurément par la faute du partenaire, son beau-frère Hubert. Après Pierre Pauc, le plus jeune, le protégé de Pélo, mon grand-père Lucien Laboucarié qui n'est pas encore appelé Papou, faisait le quatrième. Aussi ma grand-mère Léontine, sœur de Pierre et d'Hubert ainsi que Jeanne Pélofy, est présente avec trois enfants : ma mère, Élie et la petite Jeanine qui dort sur ses genoux. Jojo, l'aîné n'est pas là: il maraude à la brune avec quelques amis de son âge.

 

À cette époque, au début des années trente, l'éclairage public n'existe pas à Boutenac. C'est pourquoi la famille Laboucarié est venue avec un fanal pour éclairer sa route de retour. C'est avec cet objet que joue Élie dans les régions basses que sont les siennes. Il est désœuvré, comme on disait chez moi. En fait, il patiente gentiment à la fin de cette soirée qu'il a subie et qui n'était pas pour lui. Son frère aîné n'est même pas là pour se disputer tant soit peu avec lui, et il n'est pas possible de jouer avec Henry et Zélie, les enfants de la maison, qui le boudent. Il a pris le fanal que son père a déjà allumé avant de se mettre en route, mais les commentaires sur la partie se prolongent, car Hubert ironise et taquine le mauvais perdant.

Élie incline la lanterne de côté puis d'autres, faisant lécher chaque vitre alternativement par la flamme de la bougie qui noircit le verre. Si la conversation se prolonge, ce sera bien amusant: la lampe deviendra toute sombre, car le noir de fumée opacifie la surface vitrée. Ce qu'on appelle une lanterne sourde, vraiment. D'ailleurs la flamme devient plus active, car les inclinaisons successives font couler la cire, et la mèche grandit. Élie perfectionne son travail; il n'y aura bientôt plus aucune zone transparente.

Mais voilà qu'un orage éclate au-dessus des sa tête; l'oncle Pélo a remarqué le jeu stupide de l'enfant et déverse son acrimonie sur sa sottise: la lampe remplira-t-elle son rôle désormais ? La gifle du maître de maison, de l'oncle autoritaire et redouté, est en route. Élie, plus pour éviter le châtiment que pour agresser l'adulte, balance soudain le fanal d'un violent revers oblique de bas en haut. La gifle n'a pas le temps de se changer en parade. Le fanal frappe l'oncle à la tête. Élie n'a pas attendu son reste. Avant même la fin de son geste, il a lâché la lampe et sauté sur ses pieds. Il est dehors. L'oncle Pélo suffoque. Le menton est fendu et la joue écorchée. On s'empresse. "Apportez l'eau-de-vie !" On assied le blessé. On le lave, on le tamponne. La lanterne est à terre, éteinte, un verre brisé, elle fumaille et empeste. Mes grands-parents, atterrés, habillent les enfants et s'en vont dans les ténèbres. À la maison, bien sûr, Élie est introuvable. Certes le petit n'aurait pas dû: le respect des grandes personnes, voyons ? Mais c'est la manille surtout qui a provoqué la colère; sans elle, l'oncle se serait sans doute contenté de gronder ou d'attirer l'attention des parents par une remarque grinçante. Savait-il bien qu'Élie, sans être un affreux garnement, a un caractère entier et n'accepte réprimandes et punitions que de ses parents ? Récemment, M. Dapot, le maître d'école qui pratique les châtiments corporels de sa grande main ou de sa baguette Joséphine, faite d’un long pétiole de feuille de palmier, en a fait la douloureuse expérience. Il a voulu administrer une fessée à Élie. Certes, il est bien parvenu à le coincer la tête en bas entre ses genoux, mais il a dû lâché prise sous une terrible morsure au mollet que même un chien n'aurait pas infligée plus cruelle. Élie s'est sauvé. À son retour à l'école le lendemain, il a mieux valu pour le maître faire semblant d'ignorer.

Dans cet incident familial, au matin, quand Élie, rentré durant le sommeil des autres, est tout de même descendu de sa chambre pour tremper son pain dans le lait, il a été réprimandé:

"Tu demanderas pardon.

  • Non je ne le ferai pas.
  • Tu demanderas pardon ou tu ne remettras plus les pieds ici. C'est une honte."

Élie savait que son père ne menaçait pas en vain. Il l'avait expérimenté avec la fameuse assiette de haricots que j'ai déjà racontée. Le jour même, il se présentait devant l'oncle au visage tout pétassé de taffetas gommé:

            " Pardon.

  • Tu as donc perdu la tête ?
  • J'ai eu peur.
  • Sacripant ! Tu voulais me tuer ? Bon, passons. Va-t’en."

Dialogue minimal. Qui était le plus gêné, de l'adulte ou de l'enfant ? Je le sais. Il me semble que j'y étais.  C'est ma mère, témoin oculaire qui m'a raconté.

 

                                                                                                       Henri B. Laboucarié

 

 

 

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Tête fracassée, le bec saigne,

L'oiseau agonise, 

Les spasmes de la mort l'emportent.

 

Que c'est triste l'oiseau qui meurt!

 

Confiance dans l'amitié absolue,

Confiance ignorée,

Confiance bafouée,

Confiance trahie.

 

Que c'est triste l'oiseau qui meurt!

 

Ce n'était qu'un reflet

Ce n'était qu'un miroir,

Sur lequel s'écrase ma mémoire,

D'où coule le sang

D'une source sacrée.

 

Que c'est triste l'oiseau qui meurt!

 

Promenade dans les ruines

De ces beaux secrets contés,

Franchement, sans défiance, 

Une âme pour deux corps.

Deux vaisseaux navigants

Vers le même port

Brusquement ont dévié leurs routes.

 

J'ouvre enfin les yeux,

Mon cœur d'argile a éclaté.

Seul, je ramasse les morceaux,

Mes mots ne servent plus rien,

Mon silence est ma raison.

 

Que c'est triste l'oiseau qui meurt!

 

Mon cœur se recueille dans le silence

En chantant la voix d'un ami,

Harmonie aux mille couleurs

Que je n'entendrai plus!

 

Pardonne-moi cette rêverie

Au vent du soir sous le saule

Dont les branches

Doucement se meuvent.

 

Les lèvres émues

Abreuvées par le verbe

Aux accents profonds

Que toi seul as trouvé,

Ont cesser de sourire.

 

Soudain tout s'est tu.

Sur le chemin, l'étoile a pâli,

Porte ta vie ailleurs,

Le beau violon,

Les cordes abîmées,

Ne chantera plus.

 

Que c'est triste un oiseau qui meurt!

 

 

 

José, le 28 juillet 2019

 

 

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4 Chronique villageoise

                                                         À travers le miroir

 

 

 

 

Pablo avait fini d'ouvrir la fosse. Le cercueil disloqué. Mauvais bois, papier à cigarettes. Malgré ses précautions, il n'avait pu éviter de disperser les planches et les ossements. Dans sa hâte à cause de l'heure tardive, pensant ne pas être dérangé, il avait posé les reliques çà et là à hauteur de bras sur le bord du trou. Comment les remettrait-il ensuite avant la sépulture du lendemain ? Quelques fois quand il se relevait pour placer avec respect un nouveau débris, il rencontrait la fixité creuse du regard aveugle, l'expression des vieilles lèvres tendues de ce qui avait été la tête de Léontine Laboucarié.

Malgré lui, comme souvent, malgré le calme de l'endroit, malgré l'atmosphère adoucie par les longues flammes des cyprès odorants, malgré la tendresse mélancolique du ciel déjà bleu et rose, Pablo était troublé. Il avait rarement eu l'occasion de rouvrir une aussi vieille tombe: trente ans presque exactement, à un mois près; et à cet endroit du cimetière, complètement dépourvu d'humidité, les pauvres restes, quoique étiques et détachés, étaient propres et secs.

Il s'était remis au travail depuis quelques minutes quand un sanglot descendit vers lui. C'était oncle Jojo. À genoux sur la terre exfodiée, il avait saisi la tête de sa mère et la baisait avec effusion.

Ma mère m'a raconté cette étrange rencontre dont son frère lui avait fait part comme d'une conduite préméditée à laquelle, pour rien au monde il n'aurait renoncé. Il avait surveillé le fossoyeur derrière les cyprès et attendu le moment en évaluant la progression du travail aux échos de plus en plus assourdis des outils.

Pour lui, au chagrin sincère de la mort récente de son père, s'était superposé le désir de rencontrer sa propre mère, au-delà des frontières du monde des vivants, au-delà des convenances, au-delà de ce qui est habituellement permis aux mortels. Désir impie et terrible. Fas et netas.

Tout  le temps de leurs deux vies ensemble, il avait été le préféré, l'aîné chéri à qui la mère, en dépit de tous les aléas de l'existence et cause d'eux, avait voué un amour différent de celui des autres; pour lui, rien n'avait jamais été à mettre avant sa mère pour qui il eut, jusqu'à la séparation mortelle, un attachement exclusif. Jaloux du père, jaloux de tous, jaloux de tout, il l'avait choyée. Il l'avait entourée d'attentions, sans cesse comblée, dans la santé, de ses précieux cadeaux de travailleur pauvre, et de toutes ses détresses, de ses angoisses passionnées, de ses mensonges fervents dès qu'elle fut tombée malade…

Elle vivante, il avait été le parfait exemple de ce que l'on appelle le complexe d'Œdipe.

Mais ce soir là, après trente ans, trente ans de vie pour lui, trente ans de néant pour elle, trente ans que l'on eût pu croire années d'oubli, ce soir là, Jojo, bouleversé, comblé et impudique devant Pablo avait reconnu sa mère, trait pour trait, dans cette momie innommable et en pièces; avait posé ses lèvres sur les lèvres sèches, avait de se dents, heurté les vieilles dents, mouillé de sa salive et de larmes de vivant les joues parcheminées de sa mère défunte. Le temps de l'au-delà n'avait rien effacé.

            Il fallut que Pablo, en maugréant, remontât par son échelle branlante pour lui faire lâcher prise et reposer la relique. Calmé par son ami, Jojo l'avait ensuite aidé à tout replacer entre des planches neuves.

 

                                                                                                     Henri B. Laboucarié

 

 

 

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José Pigeolet Pigeolet José - dans Métopes
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C'est le début, 

L'aube se lève timidement.

Sa lumière blafarde chasse la profondeur de la nuit.

Soudain, dans l'épais silence

Porté par un souffle de vent

Le cri égorgé du coq, l'oiseau du levant, 

Claironne éperdument l'appel du soleil qui en réponse

Semble se répandre sur la campagne pleurante de rosée.

 

Le forgeron, déjà levé, souffle sur les braises rouges

Et fait renaître le feu qui jaillit des cendres de la nuit.

 

Le merle prend le relais du coq,

Et son chant mélodieux encourage 

L'ascension du fils d'Hypérion

Qui, sur l'échelle des nuages

Se hisse au-dessus de l'horizon

 

Alors, la vie s'agite dans les cités et dans les champs.

 

La foule, doucement, encore endormie,

Envahit la ville tel un vent inconnu venant d'un désert.

Bientôt, elle fourmille, elle s'agite, elle s'engouffre,

Comme d'ardents essaims bourdonnants,

Dans les voitures, dans le métro, dans les tours.

La lumière dorée n'a pas encore atteint le bas des immeubles

Que déjà les cerveaux travaillent, illuminés par leurs écrans

Où des chiffres et des lettres dansent une gigue endiablée.

 

Le vieux clocher du village jette son ombre noir 

Effrayante et coupante, sur les toits grisâtres

Des chaumières dans lesquelles les fourneaux s'allument.

Le forgeron en tablier de cuir, 

Solidement camper sur ses deux pieds,

Puissant des bras, frappe, à la cadence de son souffle,

Le fer plat rougeoyant posé sur l'enclume.

Et déjà, la sueur ruisselle sur son visage.

 

Le soleil brille au zénith et darde ses rayons brûlants. 

Accouplement éphémère de la lumière à l'ombre du béton.

 

Le paysan ne tolère aucune herbe folle

Et raye de longues stries brunes la peau de son champ.

Pénétration de la chaleur dans le cœur de la semence.

La terre est amoureuse et elle enfante une beauté fragile.

 

L'espoir est joyeux et ne trébuche pas contre la tombe,

Les vœux sont infinis et l'ardeur insensée 

Pour le bonheur de demain dans nos cœurs étonnés

Par le destin borné enlaçant le présent toujours là

Au son du violon qui pleure 

Et grince encore sa douleur

De tous les jours perdus.

 

Bel astre lumineux, ta vie n'a qu'un temps.

Déjà, ton feu décline et ta lumière vacille.

Point d'arrêt à ton cours descendant.

C'est comme la fin d'un voyage 

Que l'on croyait sans limite.

Sur une plage d'un soir d'été, tu plonges

Doucement et te noies dans une mer lointaine.

 

Les arbres sont devenus noirs,

L'espace s'est tu.

Fascination d'une fin de journée

Dont la lune pleine

Eclipse les étoiles.

Il ne te reste que tes ailes

Pour t'enfuir dans un pays merveilleux,

Là où il n'y a pas d'autrefois, 

Là où tout ce qui est vrai, reste vrai.

Là où il ne peut y avoir d'amitié sans une vraie réciprocité.  

Là où rien ne peut ternir le miroir de la vérité.

 

Il n'est si belle fleur qui ne se fane demain.

C'est la fin de l'histoire… ou une histoire sans fin?

 

                                                José, 22 avril 2019

 

 

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José Pigeolet Pigeolet José - dans Métopes

  • : Le blog de José Pigeolet
  • : Peindre avec les mots ou écrire avec la couleur; la peinture et l'écriture créent des atmosphères qui jettent sur le monde qui nous entoure un regard révélateur de ce que nous sommes et ce vers quoi nous allons. Peindre ou écrire sont des actions qui commencent par la même angoisse du blanc sur la toile ou la page. Expulser les images que l'on a en soi, dans la joie ou la douleur, mais toujours dans le doute. Les jeter sur un support aide à mieux comprendre ce que l'on est par la vérité qui se révèle dans le regard des autres dans leur contact avec les œuvres. C'est l'ouverture de la route sur la quête de son identité. Réflexions colorées ou écrites, vous en trouverez quelques-unes sur mon Blog. À vous de les interpréter et peut-être de rejoindre une part de vous-même dans ce lieu "imaginaire".
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